Alors que l’affaire Weinstein prend une nouvelle tournure avec les récentes déclarations d’Uma Thurman, Revenge de Coralie Fargeat s’apprête à tirer à balles réelles sur les hommes au comportements plus que primitif. A l’occasion de la projection du film au PIFFF 2017, la réalisatrice nous parle de la genèse de Revenge et comment elle est parvenue à s’exprimer à travers le prisme du cinéma de genre.
Doc Ciné: De par son titre et son postulat de départ, Revenge laisse croire à un exercice de cinéma d’exploitation. Alors qu’on s’attend à des références à La Dernière Maison sur la Gauche ou I Spit on Grave, c’est plutôt vers les références du cinéma d’action. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Coralie Fargeat: Mon intention première vis-à-vis de ce projet était de faire un film de genre. C’est le cinéma qui a nourri ma cinéphilie et dans lequel je peux pleinement raconter mes histoires. Il me permet de créer un univers visuel fort et des situations extrêmes. Au départ, l’idée était de suivre la transcendance d’un personnage féminin. Au début, Jen parait très frivole et faible pour finalement devenir une héroïne badass. Le viol est symbolique. Il représente la quintessence de toutes les violences faites aux femmes. Cet événement transcende le personnage.
D.C: Revenge bénéficie d’un esthétisme tranché. Qu’est-ce que les textures ont à dire du film ?
C.F: Je voulais que les spectateurs évoluent dans un monde extra sensoriel. Dès l’écriture, le travail de matière était très important. C’était ma manière de m’approprier le film et plus largement le genre. Ce que je voulais insérer dans ce canevas extrêmement codifié. Le film est une traque, cela me permettait aussi de retranscrire l’état d’alerte dans lequel sont les personnages. Tous leurs sens sont mis à l’épreuve, et de ce fait je voulais utiliser une caméra très synesthésique. Afin de retranscrire la violence de manière organique et palpable pour le spectateur.
J’ai également beaucoup écrit en musique, et ma playlist était composée de morceaux ultra répétitifs. C’était ce style que je voulais pour le film. Il y a de longs moments muets, et la musique traduit de manière viscéral les affrontements. Leur humanité s’est évaporée pour faire entrer les personnages dans un état de transe. Enfin, j’ai une obsession pour les insectes et elle se retrouve dans le film. Je trouvais ça important d’insérer ces respirations pour provoquer de la répulsion chez le spectateur.
D.C: Le montage du film est scindé en deux parties très distinctes. Une première extrêmement cut et l’autre beaucoup plus planante avec de longs plans séquences. Cela correspond-il à l’état psychologique de Jen?
C.F: Effectivement, je voulais que le montage se rapporte de manière symbolique à Jen. Au début, c’est des plans qui montrent les regards portaient sur elle. Sur la manière dont les hommes la regardent. Elle est une proie pour eux. Je voulais que cela soit transmis par le non verbale dans une succession de plans très marquants. Après, une fois la traque enclenchée, je voulais que le spectateur soit en immersion. J’ai laissé de côté le surdécoupage qui selon moi annule une grande partie du ressenti. Alors que c’est mon cheval de bataille avec ce film. Les plans à la steadycam ont permis de créer énormément de tension.
D.C: Dernière question, quel est votre rapport avec votre métier de réalisatrice ?
C.F: Pour Revenge, j’ai eu une période d’isolement très longue. Je me suis totalement dévouée à ce projet. Quand tu fais ton premier long, tu arrives dans une cours où tu dois prouver ta valeur. Mes univers sont visuellement très riches et j’ai tendance à avoir un niveau d’exigence très élevé. Pour un homme, on dira que c’est un génie. Pour une femme, on pourrait la faire passer pour une hystérique, une casse couille. C’est pour cela qu’il faut redoubler d’effort en tant que réalisatrice. Mais les choses évoluent. Il y avait Kathryn Bigelow bien sur. Mais l’an dernier, Patty Jenkins a attiré toute l’attention avec Wonder Woman. Plus proche de chez nous, Julia Ducournau avec Grave a eu un succès plus que mérité. Notamment à l’internationale. C’est un changement qui sera long, parce qu’il ne touche pas que le cinéma. La société au sens large doit accepter cette évolution. Mon film participe à cette transition. Que mes personnages et mon histoire puissent servir de modèles et d’inspirations pour les futures réalisatrices.