Quelques semaines après l’œuvre magistrale d’Andreï Zviaguintsev, dont vous pouvez lire la critique ici, sort Happy End, dont le titre aurait également pu être Faute d’amour, tant ce sentiment est absent du nouveau film de Michael Haneke. La comparaison s’arrête toutefois là, les deux œuvres différant, sur la forme comme sur le fond.
En effet, alors qu’émergent de Faute d’amour quelques figures ou instant positifs, Happy End est un film glacé, où les personnages, habitant la même maison bourgeoise, se côtoient plus qu’ils ne vivent ensemble, n’éprouvent les uns pour les autres aucune empathie et n’entretiennent d’autres rapports que violents, quand ils ne s’ignorent pas.
Cette cruauté glacée surgit dès la scène d’ouverture, faite – comme une référence à Caché – d’une vidéo Snapchat où on aperçoit une femme se brosser les dents avant d’aller se coucher. Le cynisme des commentaires de l’auteur de la vidéo, l’intrusion brutale dans l’intimité la plus futile concourent au malaise du spectateur, complice malgré lui de ce voyeurisme brutal.
Cette absence de lien sentimental entre les personnages ressort également dans leur sexualité, qui ne s’exprime d’ailleurs jamais par une union des corps mais par des échanges via messagerie instantanée, empreints d’une pornographie brute et animale, loin du romantisme que lui attribue par exemple Gaspar Noé dans Love.
A travers ce récit Haneke s’en prend à la famille bourgeoise, hypocrite et destructrice, aussi prompte à célébrer son amour des siens en public qu’à les broyer et à exploiter ceux qui la servent, qu’elle se contente le plus souvent d’ignorer.
Dans cette histoire ne se produit qu’une véritable rencontre, celles des deux personnages les plus humains, seuls capables d’avoir aimé et haï. Bien qu’il la laisse un instant émerger, Haneke ne laisse pas sa chance à une troisième figure, sensible et rebelle mais incapable de s’affirmer face à sa famille sans être écrasée.
Outre son excellente direction d’acteurs et la qualité de ses interprètes, parmi lesquels se distingue Jean-Louis Trintignant, auteur après Amour d’une nouvelle prestation remarquable, le film bénéficie de la mise en scène sans faille de Michael Haneke, à la fois dense et étirée. Tout entière au service du récit, elle traduit parfaitement l’absence de relation entre les personnages, les montrant, y compris dans des espaces réduits, toujours à distance. Ainsi le grand-père tourne le dos, dans sa salle de bain, à l’homme de maison lui apportant son petit déjeuner ou un père, sa fille et sa femme parviennent à traverser le même salon sans se croiser, chacun partant dans une direction sans prêter attention aux autres.
Avec cette charge clinique et féroce, Michael Haneke poursuit, dans la continuité de son œuvre, sa dénonciation de la société bourgeoise.