Montrer le vivre ensemble, tel est l’ambition de Raymond Depardon dans son nouveau film, Les Habitants. Pour cela il a proposé à ces habitants, vivant dans des villes petites ou moyennes, repérés à des terrasses de cafés, de poursuivre leurs discussions dans une caravane aménagée en studio, sous l’œil de sa caméra.
Des 45 heures ainsi filmées, Depardon a tiré un documentaire d’1H24, succession de conversations ponctuellement entrecoupée d’images de sa caravane en transhumance.
Force est de constater que l’objectif affiché par le cinéaste n’est pas atteint. Tout d’abord car il ne filme que des duos, couples, amis ou famille, sans étendre son observation à un milieu plus large ou à des fréquentations non choisies. Mais également car il ne s’intéresse qu’à une partie de la France, délaissant les grands centres urbains, pourtant porteurs de problématiques spécifiques.
Surtout, le dispositif employé porte en lui-même ses faiblesses. En laissant aux participants toute liberté pour poursuivre leurs conversations, sans thème imposé ni question, Raymond Depardon ne parvient à dégager ni cohérence ni fil conducteur. Il y a d’ailleurs là de sa part une démarche volontaire, puisqu’il a cherché à éviter toute répétition dans les thèmes abordés. Si ce choix traduit sa volonté d’offrir un large panel des préoccupations des personnes rencontrées, il biaise tout autant la représentativité des échanges et écarte toute possibilité de connaître des opinions différentes sur un même sujet tout en aboutissant à un résultat très inégal dans son intérêt et sa tonalité.
Ainsi cohabitent dans Les Habitants une discussion, grave et saisissante, entre deux jeunes femmes ayant été battues par leur compagnon et les considérations d’un couple sur les « Champs-Elysées de Bar-le-Duc » ou celles d’un lycéen sur ses aptitudes à la psychologie, illustrées selon lui par l’oreille attentive prêtée à sa copine Tiffany. Seul constante, la bêtise masculine, les hommes, par leurs considérations misogynes, allant de jeunes priapiques ayant des propos peu amènes sur les tenues des femmes à un gros con, que j’imagine volontiers agent immobilier ou vendeur de téléphones portables, tenant absolument à faire avorter sa copine sans jamais se dire qu’il aurait bien fait de mettre des capotes – et qu’une vasectomie serait la bienvenue pour protéger l’humanité de la transmission de ses gènes.
En définitive Les Habitants est à l’image de ce peut être une discussion, tour à tour futile et grave, superficielle et profonde, ce qui ne suffit malheureusement pas à en faire une œuvre captivante, malgré l’authenticité de son propos et la bienveillance dont fait preuve Depardon à l’égard des habitants qu’il entend nous montrer.
Il est difficile, à l’issue du film, de ne pas faire la comparaison avec le projet, photographique celui-ci, Des Français, réalisé par Denis Rouvre et présenté lors de l’édition 2014 des Rencontres de la photographie d’Arles. Dans un dispositif similaire à celui utilisé par Depardon dans son film, Denis Rouvre invitait des personnes à monter dans sa caravane pour être photographiées sur fond noir, à l’image des portraits de la Renaissance, et répondre à cette interrogation « qu’est-ce qu’être Français ? ». De cette question unique et intime, qui fait écho à celle de l’identité, surgissaient des réponses très diverses, bien plus riches et révélatrices des opinions de nos concitoyens que les échanges montrés dans Les Habitants.
Message humaniste au couple de connards, sans doute anciens profs de maths, qui a passé la séance à discuter malgré mes appels subtils et répétés à fermer leur gueule : la Suisse est un pays magnifique, ouvert et précurseur, qui a su reconnaître la souffrance humaine et autoriser l’euthanasie ; ce n’est pas si loin, faites un effort.