Guillermo del Toro, lorsqu’il reçoit son Golden Globe de meilleur réalisateur pour The Shape of Water écrit sur Twitter : « Thank You to the academy and my peers for this moment of joy in a 25 year journey as a storyteller. » Il est un storyteller avant d’être un réalisateur. Del Toro aime les fables, il aime raconter des histoires, émouvoir, effrayer.
Les films de Del Toro, mis à part peut-être son Pacific Rim, sont des contes mis en images. Tout y est présent : les monstres, les enfants, les forêts, la morale, la magie, la peur comme l’émerveillement. Son cinéma est avant tout une ode à l’imagination. Ofelia, l’héroïne du Labyrinthe de Pan, fuit le monde réel pour plonger toujours plus en avant dans un monde imaginaire, qui si il peut être terrible, lui offre aussi un refuge. Ces univers laissent au réalisateur le loisir de créer sans limite rationnelles, sans considération pour un quelconque réalisme, qui n’est d’ailleurs pas pour autant absent. On peut voir les prémices de la création dans les carnets du réalisateurs. Le plaisir de façonner des créatures, de jouer sur les caractéristiques physiques et autres excroissances charnelles se lit avant même le passage à l’image cinématographique. Il est par ailleurs étonnant de constater que ces monstres ne sortent que d’un esprit, pour être retranscrits fidèlement dans le produit final, quand on imaginerait des dizaines d’auteurs en brainstorming pour les créer, chacun surenchérissant à la manière des spin-doctors pour les scénarios. Guillermo del Toro parvient à être un auteur, qui donne vie aux créatures de son imagination, dans des super-productions Hollywoodiennes (Hellboy 2, qui hérite de l’homme au crâne surmonté d’une ville, ici montré, avait bénéficié d’un budget de 85 millions de dollars).

Le réalisateur est un lecteur notoirement assidu de H.P Lovecraft, le maître de l’horreur métaphysique et indicible, qui plonge ses personnages dans un monde menacé par les grands anciens, au premier rang desquels se trouve Cthullu. Mais il cite aussi Lord Dunsany, Clark Ashton Smith, ou encore Arthur Machen, l’auteur de The Great God Pan. Ses références parlent pour lui : Del Toro veut effrayer. « It’s one of a primary drives of telling a story, to scare your audience ». Cela nécessite la qualité d’un conteur d’histoire, qui sait jouer sur la caractérisation de ses personnages, de ses univers, sait retenir les informations, pour les dévoiler au moment opportun. L’oeuvre de Lovecraft est caractéristique de cette écriture précise, classique, mais efficace. C’est le genre fantastique qu’exploite le réalisateur, prenant pour base un monde rationnel, connu, et le subvertissant par l’irruption du merveilleux dans le réel. Au delà du simple monde potentiel imaginaire, les créatures et la magie proposent une alternative à notre réalité, elle vient la contrebalancer, lui résister. Le Labyrinthe de Pan est en ceci symptomatique de cette dichotomie cosmique : le monde dégradé des humains, fait de guerre, de souffrances jusqu’au sein même de la sphère familiale, est opposé au monde fantastique, qui se manifeste à Ofelia par petites saillies avant qu’elle ne s’y engouffre totalement dans une mort qui prend la forme d’une renaissance éternelle.


En cela bien sûr, Del Toro exploite l’une des plus grandes forces du conte : sa charge philosophique et édifiante. Sans révolutionner notre regard sur le monde, il propose des variations fantastiques et lyrique en s’appropriant ce genre. Comme tout storyteller, Del Toro ne crée pas ex-nihilo. C’est avec les motifs ancestraux du conte que le réalisateur compose ses histoires, agençant ce que Vladimir Propp appelait des fonctions narratives. Ce folkloriste russe distinguait 31 fonctions dans le conte traditionnel, fonctions que l’on retrouve dans le cinéma de Del Toro : La transgression de l’interdit, les épreuves, la demande faite au héros de réparer un forfait, le héros se laissant tromper, le héros épousant la princesse ou montant sur le trône, pour ne citer que celles-ci. Si ces fonctions sont aujourd’hui devenues des lieux-communs, Del Toro ne les utilise pas superficiellement, et revient vers leur origine, retourne vers une forme littéraire, exploite des motifs ancestraux plus que des clichés. Le réalisateur cherche à raconter une histoire, de façon presque primitive. C’est le conteur, comme celui qu’on trouve au début de Hellboy 2, dans une mise en abyme qui permet d’ouvrir son film vers le passé. Formellement, ses longs-métrages rétablissent une narration douce, sans effet de fast forward, sans temporalité hachée, loin d’une forme de modernité. C’est la fluidité du montage, notamment dans Le Labyrinthe de Pan, qui rétablit cette forme de narration classique, créant un lien puissant entre les images, chacune d’entre elle connectée à l’autre, passant doucement, comme dans un rêve cotonneux, ou un cruel cauchemar. Del Toro met en image ce qui traverse nos esprits à la lecture des contes de Andersen ou de Grimm, il met en mouvement les illustrations de ces histoires, comme celles de John Bauer.

Bien sûr, la propension de Del Toro à créer, son amour pour les monstres, ses univers mélangeant réalisme et fantastique, peuvent rappeler celui qui a été pendant plusieurs décennies le grand auteur gothique du septième art, Tim Burton. Plus consensuel que ce dernier dans son esthétique comme dans ses personnages, le réalisateur mexicain semble cependant prendre la relève de l’auteur fatigué de Beetlejuice, pour se placer comme le nouveau conteur d’Hollywood en ce début de XXIème siècle, fidèle aux originaux, cherchant à mettre en images des histoires touchantes, utiles, enivrantes enfin.