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Note de la rédaction :

Conte onirique, voyage initiatique à la frontière entre le fantastique et l’érotisme, Les Garçons Sauvages est une expérience artistique totale frayant avec le meilleur du cinéma d’aventure. Bertrand Mandico réussit un coup de maître parvenant à s’affranchir sans mal des travers du cinéma expérimental qu’il a longtemps pratiqué pour proposer une œuvre accessible, visuellement époustouflante et à l’attractivité vénéneuse. Critique.

Si l’univers fantasmagorique de Bertrand Mandico est admiré de longue date, il demeurait un doute sur sa capacité à passer au long-métrage et à tenir en haleine le public sur la longueur.

Avant même de visionner Les Garçons Sauvages, lors d’une des nombreuses avant-premières qui ont jalonnée sa déjà longue histoire, nous avions prévu de débuter cette critique en proposant une mise en garde à destination du public qui ne serait pas sensibilisé au cinéma disons expérimental de Bertrand Mandico. Précaution d’usage s’avérant, à notre immense surprise, totalement superflue tant ce film se révèle être véritablement et profondément accessible de par sa narration limpide et linéaire. C’est à la fois une belle surprise et une profonde preuve de maîtrise.

Les Garçons Sauvages est en effet avant tout un film d’aventure dont les incursions oniriques et fantastiques viennent non pas surligner la singularité de Bertrand Mandico mais, bien au contraire, appuyer le récit.

L’histoire se déroule au début du 20ème siècle et raconte les aventures de 5 garçons de bonne famille qui, après avoir commis un crime sexuel horrible, sont repris en main par un capitaine au cours d’une croisière répressive sur un voilier. S’en suivra un parcours initiatique à travers un voyage mystérieux au cours duquel les frontières du fantastique seront allégrement franchies.

Le film s’articule autour de 4 parties caractéristiques : un crime originel à expier, un procès, un voyage initiatique et enfin une exploration d’un territoire fantasmagorique répertorié sur aucune carte.

Première réussite, Les Garçons Sauvages est un film à la fois très formaliste et surtout, serait-on tenté de préciser tant le rendu ne laisse quasiment que ce mot à la bouche, éminemment organique. Pour étayer notre propos, intéressons-nous à la manière dont Bertrand Mandico inscrit le récit dans sa temporalité. Certes, le fait qu’il s’agisse d’un film d’époque ne laisse aucun doute, de par les costumes et les quelques décors caractéristiques du début du 20ème siècle, mais ce film n’en a pas les atours habituels et il en va de même sur les aspects fantastiques du propos.

En effet, Mandico ne se contente jamais d’essayer de calquer sa mise en scène sur les usages qui en deviennent à certains égards des tics de mise en scène. Au contraire, il recherche essentiellement à retranscrire une ambiance, certes extrêmement stylisée, mais toujours palpable. Contrairement à certains cinéastes contemporains qui s’évertuent à imposer leur style à grand renforts de mouvements et d’angles de caméra aussi aboutis que totalement dénués de sens, parfois au détriment de l’efficacité de leur récit, jamais on ne sent les coutures durant les 110 minutes que durent le film.

Et pourtant, il s’agit d’un exploit tant le film regorge de tout ce qui fait la sève du cinéma de Mandico. D’abord, les trouvailles et les trucages visuels qui sont tous réalisés en temps réel lors du tournage : incrustations d’images sur plusieurs plans, travail colorimétrique élaboré avec soin et goût (et oui, ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir du goût et Mandico en a énormément !). Sans parler de l’effort porté sur la direction artistique, les effets visuels et le maquillage, dont les nombreux accessoires et l’intelligence avec laquelle ces derniers viennent étoffer cet univers déjà enrichi par la puissance d’évocation du récit.

De ce point de vue, la prouesse artistique de ce film est d’allier avec une inventivité désarmante une histoire classique, presque universelle, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un conte d’apprentissage (certes un peu déviant) avec une étonnante plongée dans le fantastique où la Nature tient une place centrale. Le parcours d’initiation de ces jeunes gens sauvages s’inscrit dans la plus pure tradition des films d’aventure notamment à travers les thématiques abordées : un voyage périlleux, un guide atypique et effrayant, un environnement exotique et mystérieux.

C’est précisément lorsque l’équipage débarque sur l’île mystérieuse que la puissance d’évocation du film se déploie pleinement. Mandico nous plonge alors dans des territoires inconnus, traversant une flore hypersexuée où la personnification de la Nature, tantôt généreuse, tantôt vénéneuse, confère un caractère unique à cette aventure sur cette île mystérieuse aux pouvoirs inattendus.

Car c’est bien dans l’alliance parfaite entre le savoir-faire de Mandico et ce récit mythologique que Les Garçons Sauvages parvient à se démarquer du tout-venant actuel. En artisan iconoclaste issu de l’école des Gobelins, le travail sur l’image qu’il pratique depuis maintenant deux décennies trouve tout son sens dans cette histoire à la puissance d’évocation troublante.

La puissance d’évocation du film est à la hauteur des inspirations assumées ou simplement ressenties lors de la projection. Nous n’évoquerons pas les nombreuses influences déjà présentes au cœur du projet (notamment le roman de William S. Burroughs et Querelle de Fassbinder), pour nous pencher sur ce qui nous a le plus marqué : le récit de voyage adossé à ce parcours d’apprentissage entre La Nuit du Chasseur, pour ses aspects fantasmagoriques et, surtout, Les Contrebandiers de Moonfleet, pour sa capacité à allier aventure et mystère dans un récit d’aventure. Jamais éloigné du cinéma des pionniers (on pense à Méliès), c’est en quelque sorte l’histoire du cinéma qui s’inscrit dans cette trame pourtant très actuelle. Et rien de tel que la douce folie et le talent hérité et poli par des années d’expérimentation par Mandico pour en faire ressortir toute la sève.

Sur le plan thématique, Les Garçons Sauvages se penche évidemment sur la question du genre : avec des garçons très particuliers, alors que le seul homme du casting interprète un personnage en apparence dur, le capitaine, dont l’emprise sur les garçons sera un des enjeux du film. D’ailleurs, on constatera peu à peu, avec un certain plaisir, qu’il se sent constamment obligé d’utiliser des artifices pour asseoir son pouvoir sur ces jeunes gens incontrôlables.

L’image est indéniablement le point fort du film. Le noir et blanc est absolument magnifique. Mandico a fait le choix d’utiliser la pellicule ce qui confère au film une atmosphère particulière à travers le grain de l’image, bien sûr, lui donnant un aspect vintage indéniablement adapté au propos, mais aussi à travers le panel de possibilités offertes en matière d’ambiance et de définition (les séquences sur le voilier sont en cela des modèles du genre).

Accentuant le contraste, le surgissement de la couleur à certains moments clés permet de surprendre le spectateur. Pour expliquer sa démarche, Mandico se réfère au travail de Koji Wakamatsu, un célèbre réalisateur de pinku eiga (films érotiques japonais) des années 1960-70 qui faisait surgir la couleur à certains moments clés. Si le cinéaste japonais choisissait les plans où apparaissait la couleur bien souvent à des fins racoleuses et surtout pour des raisons économiques, ce qui conférait à ces scènes une puissance inattendue, Mandico a choisi de répéter ce procédé avec une certaine réussite. En effet, il s’avère la plupart du temps impossible d’anticiper les moments où la couleur apparaît à l’écran. Celle-ci surgit comme une éruption incontrôlée, soit en quelque sorte une montée de sève, ce qui sied à merveille avec le propos.

Sur cet aspect, le plus remarquable est sans conteste le travail sur les effets visuels qui ont tous, sans exception, été réalisés pendant le tournage. Les trucages, qu’il s’agisse de surimpression de deux pellicules l’une sur l’autre ou tout simplement de l’incrustation d’images directement sur le tournage, sont d’une inventivité désarmante.

Autre point fort notable, la musique sublime prend au fil des minutes une dimension quasiment mystique jusqu’à un final sublime finissant de nous convaincre de l’osmose réussie entre l’image et le son.

Enfin, comment ne pas finir en évoquant le casting ? Petite précision notable à ce sujet : les dialogues ont entièrement été réalisés en post-production ce qui peut surprendre dans les premières minutes. Passé ce moment d’adaptation, on ne peut qu’apprécier l’ensemble du casting. Si les deux actrices fétiches, Elina Löwensohn (vue récemment dans le superbe Laissez bronzer les cadavres) et Nathalie Richard, sont de la partie, ce qui retient l’attention est évidemment les 5 garçons interprétés par un casting exclusivement féminin. Et pour cause, mais nous vous laissons découvrir pourquoi…

Pour tout cela, Les Garçons Sauvages est bien plus qu’une belle tentative de cinéma expérimental. Puisant sa source dans les tréfonds de l’histoire du cinéma, Bertrand Mandico déploie tout son savoir-faire pour déployer un récit dense, profond, à l’esthétique impressionnante, tout en proposant un regard renouvelé sur le genre qu’il aborde avec une force de conviction extrêmement communicatrice.

Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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