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Note de la rédaction :

Foxcatcher est le dernier long-métrage de Bennett Miller, réalisateur qui commence à être reconnu pour ses choix audacieux.

Foxcatcher ou comment réussir un film en partant de très loin

Oui, Foxcatcher parle de lutte, sport dont à peu près tout le monde se moque, oui, Foxcatcher a comme acteur principal l’inconséquent Channing Tatum qui joue (en plus !) un lutteur incapable de communiquer, oui, Steve Carell surjoue souvent (la faute à une direction d’acteur un peu lâche sur son personnage) et est un peu grotesque avec tout ce maquillage (merci à Bill Corso et Dennis Liddiard, pourtant de grands professionnels du maquillage, d’ailleurs ils sont nominés aux Oscar pour Foxcatcher, d’aller chercher leur chèque à la compta), oui, le scénario est adapté d’un fait divers obscur et la famille DuPont y a sans doute mis le nez d’où certaines ellipses qui tombent bien et oui, enfin, le film est relativement lent et les personnages opaques et pourtant…

… Ce film est une réussite remarquable et ouvre d’immenses possibilités de mises en scène que d’autres réalisateurs n’hésiteront pas à copier dans les années à venir.

L’histoire en bref

Foxcatcher est une histoire vraie et c’est à peine croyable ! En effet, le long-métrage raconte la relation improbable entre Mark Schultz (Channing Tatum), médaillé d’or olympique en 1984, et John du Pont (Steve Carell), un riche héritier de la célèbre famille du Pont. On s’apercevra très rapidement que l’héritage familial pèse de tout son poids sur les épaules de John du Pont.

L’histoire débute donc au milieu des années 1980. Mark Schultz est un jeune médaillé d’or olympique de lutte, mais il ne bénéficie pas de la notoriété que l’on pourrait attendre d’un tel statut, la lutte étant un sport confidentiel. Plus gave encore, il n’est pas reconnu à sa juste valeur par ses pairs. C’est son frère aîné, Dave Schultz (joué par le génial Mark Ruffalo, lui aussi méconnaissable en sosie parfait du sportif), moins introverti, plus équilibré et, peut-être, plus intelligent que lui qui en bénéficie.

Ainsi, lorsque le riche héritier John du Pont (Steve Carell) propose à Mark Schultz (Channing Tatum) de l’aider à mettre en place un camp d’entraînement haut de gamme, dont il serait le lutteur en chef, dans l’optique de préparer les Jeux Olympiques de Séoul de 1988, et d’emménager dans sa magnifique et inquiétante propriété familiale, Schultz saute sur l’occasion. Il espère pouvoir concentrer toute son attention sur son entraînement et ne plus souffrir d’être constamment éclipsé par son frère, Dave.

John du Pont, quant à lui, se rêve en entraîneur de l’équipe nationale des États-Unis et espère assouvir d’obscures besoins de reconnaissance et prouver à sa famille, et surtout à sa mère, qu’il mérite respect et considération.

L’argent aidant, il parvient sans mal à ses fins. Mark remporte les championnats du monde, ce qui est une première étape vers le succès. Mais la folie latente de du Pont et son emprise sur Mark, entraîne peu à peu ce dernier vers des comportements autodestructeurs mettant en danger sa participation aux JO.

Quand la situation finit par s’envenimer complètement, la manipulation perverse de du Pont s’opposera aux desseins profonds de Mark et de Dave. Certains comportements des uns et des autres feront remonter à la surface des troubles psychologiques issus d’une enfance douloureuse.

Qualités :

Mise en scène / Photographie / Complexité psychologique / Choix narratifs

Défauts :

Lenteur (parfois) un peu artificielle / Ellipses peuvent déranger (pas moi) / Direction artistique (un côté piège à Oscars)

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Lutte et emprise de pouvoir

Ce long-métrage est bien plus que l’adaptation d’un fait divers à sensation. Oui, bien sûr, il y a tout pour attiser la curiosité du grand public : un sportif de haut niveau, un milliardaire excentrique, un peu de mystère… Mais, la réussite de Bennett Miller est d’avoir su s’emparer de cette histoire pour en faire une critique acerbe de la société américaine toute entière en ce milieu des années 1980.

La lutte est ici une métaphore pour symboliser l’emprise d’une personne sur une autre. Cette personne n’a pas besoin d’être plus forte que l’autre, elle doit juste savoir comment procéder pour avoir l’ascendant sur l’autre.

Mentors et sinistres pouvoirs

Mark est beaucoup plus fort physiquement que son grand frère Dave, mais il ne sait pas comment procéder pour avoir l’ascendant sur lui sur le tapis. Il doit faire face au même problème dans sa vie personnelle : son grand frère a l’ascendant sur lui et il ne sait pas comment s’en défaire. Il s’agit certes d’une emprise positive et son grand frère lui veut du bien, mais il ne parvient pas à s’émanciper.

Lorsqu’il croit pouvoir le faire, grâce à John du Pont, il s’aperçoit rapidement qu’il doit à nouveau courber l’échine. Non pas que John du Pont soit particulièrement charismatique, mais son argent est amplement suffisant pour lui assurer l’ascendant sur les autres.

On ne se défait pas facilement de ses démons et Mark reproduira donc le même éternel schéma avec John du Pont, son frère ou plutôt père de substitution.

L’argent de du Pont pouvant tout acheter, il en viendra même à tenter d’acheter le frère aîné, Dave, dont il sent le charisme inné. Le pouvoir de l’argent étant plus puissant que le talent, Dave finira par s’en accommoder bon an mal an. Dave en fera les frais et sera condamné à reconnaître l’ascendant de M. du Pont sur lui-même lors d’une scène ahurissante d’absurdité.

Ici, toute la société américaine reaganienne est mise à nue en un clin d’oeil : le pouvoir de l’argent corrompt, on le sait depuis toujours (on achète quelqu’un en échange de quelque chose), mais ce que l’on sait moins, c’est que l’argent peut faire passer des pantins pour des marionnettistes. John du Pont, ridicule fils à maman complètement névrosé, devient par le seul pouvoir de l’argent le mentor de sportifs accomplis, charismatiques et intelligents.

Mark, quant à lui, ne parvient pas à s’émanciper de ces personnages charismatiques. Il n’est pas encore un adulte fini. Il ne parvient pas à s’exprimer, à donner son avis. Sa colère, il l’exprime physiquement contre lui-même ou contre des objets, car il ne sait pas, ou ne peut pas, communiquer.

Or John du Pont n’est pas le frère de Mark, il n’est pas même le père de substitution qu’il pensait sans doute trouver. Reste à savoir s’il réussira à s’accomplir personnellement et pourra atteindre son rêve en gagnant une deuxième médaille d’or olympique, cette fois sans son frère.

“The story is sensational, but the treatment of it is not sensational. It’s not a film that tells a story, or sells a story. It’s a film that observes a story. I was attracted to the characters and themes I saw within it. When you have some discipline about remaining faithful to what it is about the story that means something to you, that adds up to something larger than the entertainment of it, or the story itself, something that is larger than these characters… ”

Bennett Miller

Mise en abîme

Bennett Miller a réussi une réelle prouesse en faisant des faiblesses potentielles du projet, les forces du film. Il en résulte une mise en scène assez surprenante où le spectateur est totalement perdu ne sachant pas à quoi se rattacher.

Ne vous attendez pas à trouver un fil conducteur narratif : il n’existe pas et d’ailleurs, c’est surprenant à écrire, mais c’est une totale réussite. Mark débarque dans la demeure magnifique de du Pont et après, tous les fils, qu’ils soient narratifs ou temporels, se relâchent.

Le spectateur ne comprend pas bien ce qui lui arrive, on ne voit pas les choses arriver : une scène printanière, un entraînement se passe et hop on se retrouve aux essais pour les JO de Séoul. Peu après, on passe en plein hiver, la neige a envahi la propriété et les relations entre les personnages ont évolué. Le spectateur n’est pas pris par la main et se retrouve aussi perdu que Mark, balloté entre ses démons et sa volonté de plaire.

Pourquoi, me direz-vous, donner au spectateur ce sentiment de perte de contrôle ? En effet, n’est-ce pas là le symptôme d’un manque de maîtrise technique du réalisateur ?

Tout d’abord, rappelons que Bennett Miller est un technicien confirmé qui a réalisé des films maîtrisés : Truman Capote en 2005, avec le regretté Philip Seymour Hoffman et surtout (d’après moi) le mésestimé Le Stratège (2011), qui est, à mon sens, le grand film sur le sport de ces 10 dernières années. Ce film relate l’histoire vraie (encore une fois…) de Billy Beane (joué par Brad Pitt), un entraîneur de baseball qui révolutionne ce sport en introduisant des techniques statistiques très sophistiquées, grâce à l’aide d’un informaticien sur-diplômé et geek improbable, joué par notre ami Jonah Hill. Ce film est d’une facture classique et maîtrisée de bout en bout grâce à un scénario et une narration serrés à la perfection. En résumé, un pur produit du génie hollywoodien (pour peu qu’on aime les films carrés). Donc, non, le souci, si on peut dire, ne vient pas d’un manque de maîtrise. Pour ma part, je pencherais pour de réelles intentions de réalisation.

Tout dans les intentions du réalisateur fait ressentir cette perte de repère. On passe, d’un moment à l’autre du film, d’une équipe à qui le succès est assuré, à un sentiment de trouble où tout semble perdu. Ce basculement se fait sans crier gare avec une virtuosité technique bluffante.

L’idée étant de ne rien fixer dans la parole : la complexité immense du discours n’est à aucun moment explicité au cours d’un dialogue ou par un dispositif de mise en scène trop voyant.

Ici, tout est subtile, sombre, trouble et, pourtant, si profond.

L’argent, le pouvoir, l’emprise familiale, l’Amérique, la violence, tous ces sujets sont traités dans ce film et pourtant rien n’est dit. Bravo pour cet exploit M. Miller.

16
Note globale
Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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