La nouvelle a été accueillie par les cinéphiles du monde entier avec tristesse. Milos Forman s’est éteint le week-end dernier à 86 ans, laissant derrière lui 12 films, sans compter les courts-métrages, 2 Oscars comme réalisateur, un ours d’or à Berlin et une aura légendaire. Ce qu’on sait un peu moins c’est que Milos (de son vrai nom Jan Tomas) grandit orphelin, ses parents ayant été tous deux déportés à Auschwitz. Il est toutefois élevé avec ses frères par le reste de la famille. Il s’installera à l’adolescence sur les bancs de l’école de cinéma de Prague la FAMU (la FÉMIS tchèque). Ensuite c’est le succès fulgurant et international de ses premiers films, le départ à New York en 1968 après le printemps de Prague, « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Hair », « Amadeus », entre autres, et une carrière très importante de professeur de cinéma à Columbia où il inspire la carrière de ses élèves parmi lesquels Kathryn Bigelow et James Mangold.
Mais revenons sur les premières années, le Forman tchèque exclusivement et quatre films magiques qui méritent d’attirer tout spécialement notre attention. La nouvelle vague tchèque, c’est Jiri Menzel et quelques grands cinéastes mais c’est avant tout la liberté, légèreté, l’ironie, la spontanéité des films de Forman, son sens du rythme. Voici en quatre bornes, les incontournables de quatre années folles de cinéma :
Audition, 1963
Moyen métrage de 47 minutes tourné avec des acteurs non professionnels, « Konkurs » dans son titre original est déjà un film musical, une suite de morceaux joués pour une audition ou une compétition, ce n’est pas clair mais ce n’est pas non plus l’essentiel. L’important c’est cette énergie, cet humour, et le sentiment déjà d’un film générationnel, fait par des jeunes et pour des jeunes, très proche du style documentaire (on ne sait jamais qui joue et qui ne joue pas). Attachant, fauché, terriblement vivant. Il y a une patte Forman.
L’as de pique, 1963
Le premier grand succès pour Forman. Son nom dépasse les frontières tchèques sûrement parce que le film est à la fois couleur locale et international dans ses problématiques. Celles de la jeunesse du monde entier, qui rêve d’émancipation, mais qui est maladroite au possible. Le monde adulte est imposant et impressionnant pour Petr, et on le comprend dès les premières scènes où il découvre le monde du travail. L’amour aussi est une mission impossible quand on est aussi balourd, mais tout est filmé avec une grande simplicité, et un amour pour ses personnages (Forman est aussi au scénario). Toujours dans un style si proche qu’il paraît documentaire, un naturel renversant, un noir et blanc élégant. La nouvelle vague tchèque, qui parle de ses jeunes, fait des films sans argent et veut de nouvelles libertés, est bien née.
Les amours d’une blonde, 1965
Chef d’oeuvre d’humour et d’observation, c’est encore les aventures romantiques rocambolesques et pour le moins ratées d’un jeune homme. Les premiers émois. Les dialogues parfaits. La timidité. Le découpage est remarquable, c’est déjà un cours de cinéma en soit ! Il y a une grande humanité dans ce petit conte, qui dit tellement avec une grande économie de moyen. Les jeux de regards sont autant d’éléments du film que les dialogues. Forman montre qu’on peut faire du cinéma autrement qu’en studio. Les thèmes sont vus et archi vus mais il impose son regard doux amer. Et la fragilité de ses personnages est bouleversante.
Au feu, les pompiers ! 1967
Film en couleur cette fois, presque découpé en deux actes distincts. Le bal des pompiers et l’incendie qui viendra l’interrompre. On voit dans sa première moitié les préparatifs, toute la petite société de province qui s’agite et s’anime, et il y a beaucoup de détails savoureux et de coups bas destinés au parti ici ou là dans la caricature. Encore une fois, nous sommes dans une comédie mais une comédie dramatique, on rit en sachant que tout peut basculer, chez Forman il y a cet équilibre, et le rire soulage aussi parce qu’il y a un poids. Il y a chez Forman une perfection de choses simples, montrées sans affectation, la cruauté ou la tendresse, et son style direct où l’on oublie que l’on a affaire à des acteurs participe de cette entreprise du réel. À Hollywood il sera rarement enfermé dans un moule, formel ou narratif, mais la liberté dont il jouit encore dans ces premiers films est jubilatoire !
Et pour finir : C’est quoi Milos Forman ? – Blow up – ARTE :