Jonglant, avec l’aisance des habitués du Plus Grand Cabaret du Monde, avec une accréditation, l’équipe de Doc Ciné, entre errances journalistiques, contraintes professionnelles, abus d’alcool et erreurs d’agenda, vous relate la dernière édition du Festival Hallucinations Collectives avec cette élégance sauvage et sensuelle qui fait de nous les Gipsy Kings de la critique.
Hallucinations Collectives, qui vivait du 22 au 28 mars dernier sa neuvième édition, est un festival lyonnais dédié au cinéma « bis » qui mêle avec bonheur avant-premières, projection de raretés, généralement regroupées dans le savoureux et foutraque « Cabinet de curiosités », hommages à des réalisateurs, cartes blanches à d’autres et courts-métrages.
C’est aussi ce qui nous plaît avec ce festival sortant de l’ordinaire : prendre le temps de redécouvrir des films dont la réputation a bien souvent devancé le visionnage.
L’occasion de signer quelques critiques et de mener, avec un sens de l’imposture savamment entretenu tout au long de notre carrière, des interviews, que Thierry Poiraud, Lucile Hadzihalilovic et Joyce A. Nashawati aurons bien voulu nous accorder.
Critiques

Scare Campaign
Auteurs en 2012 de 100 Bloody Acres, les frères Cameron et Colin Cairness s’adonne quatre ans plus tard avec Scare Campaign aux joies du slasher. Dépeignant les mésaventures de l’équipe de tournage d’une émission d’horreur, le film détourne les codes du trop utilisés found footage et dresse une métaphore sanguinolente de la concurrence entre télévision et Internet.
Certes, la dernière scène laisse le spectateur sur sa faim, les acteurs restent cantonnés à un jeu de genre et le suspense est limité mais le rythme du récit, la limitation des faux rebondissements et le juste dosage de l’humour rendent l’ensemble honorable et distrayant, y compris aux yeux des amateurs d’un cinéma plus classique.

Southbound
Southbound de Roxanne Benjamin, David Bruckner, Patrick Horvath, Radio silence est un film à sketchs, un de plus me direz-vous. C’est pas faux.
On citera en vrac les nombreux films d’horreur à sketchs qui sont sortis ces derniers temps : The Theatre bizarre, ABC of death et sa suite, Tales of Halloween, Trick ‘r treat, V/H/S 1, 2 et 3, avec justement Roxanne Benjamin à la production de ces trois derniers films.
Le gros problème de ce type de films repose sur la qualité inégale des segments. Il est rarement compensé par son pendant : on a parfois le droit à quelques moments de bravoure sortant de l’ordinaire et qui n’auraient pas fonctionné sur la longueur.
Dans Southbound, on a le droit à la fois au meilleur (le deuxième segment) et au pire (les deux derniers). Si vous avez suivi, vous aurez remarqué qu’on n’a pas évoqué le premier segment et pour cause, il est le symptôme de ce film. À la fois plein de bonnes intentions, mais au final plutôt anecdotique à cause d’une trame narrative un peu trop artificielle et de rares moments forts maintes fois vus.
Au final, le film est plutôt intéressant, si on accepte d’oublier le fil conducteur de l’histoire, plutôt médiocre, pour se focaliser sur les scènes qui en valent vraiment le coup. Comme le génial sketch de David Bruckner où un homme tente de sauver une fille qu’il a renversée accidentellement dans un hôpital désert tout en étant guidé au téléphone par une mystérieuse secouriste.

Men & Chicken
Auteur, scénariste prolifique et reconnu – il a notamment écrit Brothers et Antéchrist – et réalisateur, Anders Thomas Jensen signe avec Men & Chicken son premier long métrage depuis Adam’s Apple, sorti en 2005, et nous apporte la preuve qu’on peut passer sans difficulté de James Bond à une bande d’enculeurs de poules.
A le mort de leur père, Elia et Gabriel découvrent une vidéo qu’il leur a léguée et où il leur avoue que non seulement ils ne sont que demi-frères mais aussi qu’ils ont été adoptés, leur père biologique étant un certain Evelio Thanatos, généticien génial et sulfureux qui vit sur une île reculée, où ils décident de se rendre et vont faire la rencontre de leurs autres demi-frères.
A travers le portrait de cette fratrie étrange, à la fois dégénérée et érudite, violente et enfantine, que tente de civiliser Gabriel, Men & Chicken est un conte sur la famille et la tolérance où dominent l’humour noir et une apparente cruauté.
Bien maîtrisé et entraîné par des acteurs tenant parfaitement leur rôle, Mads Mikklesen en tête, le film s’avère assez jubilatoire et, malgré quelques baisses de rythme dans sa seconde moitié et une fin trop sage, qui sans un sujet aussi singulier serait particulièrement conservatrice, nous offre une belle balade au milieu des tarés et des chimères, qui aura séduit les spectateurs du festival qui lui ont accordé le prix du meilleur long-métrage en compétition.

Sonny Boy
Il existe bien des manières pour une œuvre de devenir culte. Pour Sonny Boy, elle tient au mystère ayant entouré le film lui-même, tant il fût difficile de s’en procurer des copies, et son réalisateur, Robert Martin Caroll.
Une fois celui-ci vu, on pourrait douter que ce statut persiste ; il n’en est rien. Il a pourtant matière à sa désoler tant le film est nul. Mise en scène à la zob, scenario con à pleurer, réalisation sans soin, absence de tension, faux-raccords en pagaille et moyens cheapissismes, il n’y a dans Sonny Boy rien à sauver. Certes, voir David Carradine en vierge-marie redneck a quelques chose d’amusant et certains objecteront que le film est une ode à la tolérance mais cela ne suffit pas à le sauver de la médiocrité à laquelle il est acquise.

Green Room
Deux ans après son plébiscité Blue Ruin, Jeremy Saulnier revient à ses premières amours en renouant avec le film de genre, qu’il aborde, ainsi que l’a souligné dans son introduction le toujours pertinent Christophe Chabert, avec une sincérité qui contraste heureusement avec le ton parodique trop souvent adopté dans ce domaine.
En racontant l’histoire des membres d’un groupe de hardcore séquestrés par les habitués d’un bar néonazi après avoir découvert un corps dans leur loge, Saulnier démontre à nouveau la grande rigueur de sa mise en scène, parvenant, sans recours à des effets superficiels, à restituer efficacement une ambiance de huis-clos pour faire monter la tension et sachant utiliser la violence avec parcimonie pour la rendre encore plus spectaculaire quand elle explose.
En outre, la justesse de la direction d’acteur, qui apporte à leur jeu une subtilité inattendue pour cette catégorie de film, ajoute au réalisme de la situation et à l’effet d’immersion. On peut en revanche regretter la très relative crédibilité de la stratégie des assaillants, à l’explication un peu bancale et trop souvent répétée, qui réduit le sentiment du danger pesant sur les musiciens autant qu’elle espace les attaques de leurs agresseurs.

High-Rise
De Ben Wheatley on se souvient de Touristes, plutôt anecdotique, et surtout de Kill List, plongée onirique et dérangeante dans un culte violent, aussi réussie qu’originale et inattendue.
Menant à terme un projet également suivi, en parallèle et avant abandon, par Vincenzo Natali, le réalisateur britannique porte cette fois à l’écran une adaptation du roman IGH, de James Graham Ballard, auteur de Crash, adapté par David Cronenberg. Le récit est celui d’habitants d’un immeuble flambant neuf, offrant tout le confort d’une vie moderne et les services de proximité, dont le quotidien va rapidement se dégrader suite à des coupures de courant et incidents techniques.
La première partie du film est très réussie. Suivant le personnage du Docteur Robert Laing, incarné par un Tom Hiddlestone impeccable, le spectateur découvre petit-à-petit l’atmosphère malsaine qui règne au sein de la tour, teintée d’une certaine folie. Celle-ci s’incarne à la fois dans la promiscuité et le manque d’intimité, patent, tant chacun semble au courant de la vie du nouvel arrivant, et dans une forme de manque de pudeur, qui se manifeste notamment dans deux scènes. Une première, où le Docteur est regardé par sa voisine en train de bronzer, nu, sur son balcon, et une seconde de fête chez cette même voisine où le personnage d’Elisabeth Moss prend la main de Robert Laing pour la poser sur son ventre, alors qu’ils viennent de se rencontrer, tandis les convives, ivres, affichent une désinhibition annonciatrice de la décadence à venir. Par ailleurs l’immeuble, sans devenir un personnage à part entière, est bien exploité, même si Ben Wheatley n’utilise pas tout le potentiel de la géométrie de son architecture, qui n’est pas sans évoquer dans ses couleurs, ses ambitions et son recours au béton celle de Le Corbusier.
Dès l’arrivée des premiers incidents qui perturbent le fonctionnement de l’immeuble, le film commence toutefois à se déliter en même temps que la vie des habitants, pour des raisons strictement formelles. Les enjeux du récit, très riche, restent en effet aisément perceptibles ; décadence d’une société fermée, lutte des classes, dans les affrontements entre habitants du bas de la tour, plutôt modestes, et l’aristocratie des étages supérieurs, parabole écologique, de délitement d’une civilisation ayant épuisé ses ressources, critique des utopies de l’architecture moderniste et métaphore religieuse, à travers le personnage de l’architecte, âgé et vêtu de blanc, par l’ambition duquel a été créé le monde dans lequel évoluent les personnages, dont les défaillances entraînent le chaos qui règne dans la tour et dont la mort est perçue comme la condition nécessaire à l’établissement d’un ordre nouveau. Là où Wheatley peine, c’est dans sa capacité à retranscrire ces enjeux de manière formelle et à les faire ressentir. Dans sa volonté de ne pas les oublier, le réalisateur multiplie les effets et les scènes, changeant à multiples reprises de style, perdant la cohérence qui faisait jusque-là la force de la mise en scène et déroutant le spectateur, qui sort peu-à-peu du récit, dont la narration, moins fluide, ne lui procure alors plus guère d’émotion ou de sensation.
Symbole de cette mécanique grippée, on assiste paradoxalement dans cette seconde partie à une densification du nombre de scènes et dans le même temps à un ralentissement du récit. De même, la folie représentée à l’écran par l’avalanche d’effets n’est pas réellement ressentie.
Il importe néanmoins de souligner l’ambition de Ben Wheatley dans cette adaptation d’un roman aussi riche et le niveau des acteurs, tous très bons dans un casting foisonnant, réunissant notamment Tom Hiddlestone, Elisabeth Moss, Jeremy Irons et Sienna Miller.
On ne peut toutefois que constater qu’High-Rise aurait gagné, surtout dans sa seconde partie, à être plus sobre et plus court, et qu’il reste encore à Wheatley à assoir un véritable style, qui lui permettra de gagner autant en cohérence qu’en force dans sa narration., à l’image de ce qu’il a parfaitement réussi avec Kill List.
Article cosigné par Noodles, Docteur en cinéma diplômé des internats de La Rochelle, et son assistant prothèses mammaires et origamis, Ghost Writer.