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Faut-il dorénavant choisir entre le biopic et la créativité ?

By 16 février 2018Gros plan
les heures sombres biopic
Note de la rédaction :
S’il y a un genre qui ronronne, c’est bien le biopic. Des sorties de plus en plus nombreuses pour un résultat bien décevant et le sentiment que ces films se ressemblent tous. Analyse.

C’est en voyant « L’heure la plus sombre » la semaine dernière, l’oubliable biopic consacré à Winston Churchill que je me suis dit qu’il fallait enfin mettre le sujet sur la table et pour une fois, tiens, ne pas oublier ces pénibles deux heures. Les biopics, c’est un peu le nouveau fléau, ils sont partout, dans le cinéma français et américain, mainstream ou auteuriste, ils sont de plus en plus mauvais et posent problème au point où on se demande si le cinéma, celui qui sort dans les salles près de chez vous, ne meurt pas à feu doux sous le poids des biopics sans saveur.
Mais commençons par ausculter le patient avant de le déclarer souffreteux : « L’heure la plus sombre » c’est quoi ? C’est le cinéma de qualité, comme on parlait autrefois de la qualité française dans les années 1940 et 1950 (et ce n’était pas un compliment, les Delannoy, les Autant-Lara, ceux à qui Truffaut faisait la guerre), c’est-à-dire des gens qui pensent qu’avec de la bonne volonté, des costumes au poil et des bons mots on fera un film. Ils sont compétents, de nos jours ils consacrent des heures à un maquillage impeccable, et on y va, accent contrefait de rigueur, démarche travaillée, on s’y croirait (c’est aussi le concept de l’acteur ventriloque, qui imite, ce que l’Actor Studio nous a laissé de plus surfait, ici on ne comprend pas un mot de ce que dit Oldman, ça fait d’autant plus acteur à Oscar). Le grand problème, le mot qui dit tout, c’est l’académisme qui étouffe dans l’oeuf tout envie d’autrement, tout besoin d’ailleurs. À cela s’ajoute dans le cas du biopic une ligne scénaristique écrite d’avance et vendue dans les manuels du parfait petit script paresseux avec débuts tonitruants, passage difficile et final tambour battant parce que notre homme a su vaincre ses propres démons. Et j’en passe. « L’heure la plus sombre », le bougre porte bien son nom, vous sert tout ça à la louche pendant deux heures donc, interminables bien sûr, qui sont dans le meilleur des cas une hagiographie lourdingue, dans le pire un musée un peu poussiéreux.
Ces films ressemblent terriblement à d’autres films, et même à des téléfilms, c’est à ça qu’on les reconnaît. Ceux en costume du dimanche soir sur France 2. Ils ont juste un peu plus de budget, un ou deux acteurs connus, et une photographie qui fait sérieux, on s’y méprendrait presque. Joe Wright qui n’est pourtant pas un tâcheron, essaie d’insuffler un peu de vie dans cette longue bande-annonce mais ses bonnes intentions se retrouvent écrasées par une machine bien trop puissante qui s’appelle le cahier des charges. Pour faire un biopic sur Churchill il faut : une lumière sombre pour illustrer subtilement le titre et le contexte et pour faire drame ; des gens très dignes qui parlent trop longtemps pour faire politique ; une secrétaire sexy qui apporte une touche de piquant au milieu de ces quinquagénaires plus très frais… Bref on pense ce genre de film comme un produit et ce produit s’il veut plaire se trouve devant un certain nombre d’impératifs qui le plombent et le dénaturent. Entre autre, et c’est ma marotte, une musique pompière au possible qui viendra saluer le destin grandiose de notre héros.
Car voilà, le biopic, c’est un peu le produit idéal pour l’industrie en mal d’idées. À l’heure où l’on ne trouve plus un scénario à se mettre sous la dent, raconter la vie d’intel est presque un projet à zéro risque : il suffit de voir l’affluence dans les salles. C’est livré clé en main. Les acteurs suivent parce qu’ils savent qu’ils seront primés, le public accourt et ne va pas voir un film de Joe Wright (tout le monde s’en tamponne de son « Anna Karénine » tout à fait honnête), ils veulent du Churchill avec des citations célèbres, Gary Oldman en surpoids, et du méchant nazi. Le reste importe peu. Au contraire, on espère même qu’il n’y aura pas trop d’épisodes déroutants : on va voir un biopic avec en tête l’homme, le vrai, et on y va pour confirmer ce qu’on sait déjà, pour voir défiler le film attendu, comme on voyage pour voir de nos yeux ces monuments que l’on a vus des centaines de fois en photo (pour confirmer de visu). Le biopic c’est le voyage du pauvre. Donc plutôt un Joe Wright qu’un cinéaste connu. Le réalisateur disparaît, il est comme avalé par son sujet. C’est presque la règle du genre.
Donc les biopics se multiplient. Il en sort un par mois au minimum. Lincoln, Hitchcock, Ray, Truman Capote, parmi quelques exemples des années 2000, Karl Marx, Django dernièrement, Freddy Mercury encore à venir. Le phénomène est récent dans sa systématisation et la paresse avec laquelle l’industrie exploite le filon mais naturellement de tous temps ont existé des films retraçant la vie d’une personne célèbre et ce depuis l’origine du cinéma (le magnifique « Napoléon » d’Abel Gance par exemple en 1927). Il y a eu des films fantastiques, « La passion de Jeanne d’Arc » de Dreyer, Rosselini et « Les 11 fioretti de Saint-François d’Assise », « Lawrence d’Arabie », « Raging Bull », le « Vincent et Theo » d’Altman, le très beau « Song of summer » de Ken Russell sur le compositeur Delius, dernièrement l’excellent « Jackie » de Pablo Larrain ou le malin « Saint-Laurent » de Bertrand Bonello et enfin peut-être le plus grand d’entre tous : « Edvard Munch » de Peter Watkins. Etc etc etc. Cette liste n’est bien entendue pas exhaustive. Mais elle montre qu’en différentes époques, on a fait des films avec l’ambition non pas de vendre, mais avec des intentions artistiques. « L’heure la plus sombre » vend l’accent de Gary Oldman, il vend la photo du chef op, il vend les intérieurs de Buckingham Palace (comme si un film était bon du moment qu’il était crédible, proche de la réalité, ça devient un peu le jeu des 7 erreurs).

« Vers sa destinée » présenté par Jean-Baptiste Thoret

On peut s’amuser à briser cette structure toute faite pour raconter autrement (« Young Mister Lincoln » de John Ford), on peut prendre à contre-pied le portrait hagiographique en faisant du personnage un imbécile lubrique et génial (« Amadeus », Forman), on peut approcher la réalité en connaissant à la perfection son sujet et en soustrayant le spectaculaire (« Van Gogh », Pialat). On peut tout faire, il n’y a pas de règle, pourvu qu’on veuille faire un film personnel et pas un produit sur mesure. C’est-à-dire également que le film à de bonnes chances de proposer quelque chose de plus original si c’est un projet auquel le réalisateur tient particulièrement par rapport à un film monté de toutes pièces par les studios.
Le biopic est paradoxalement victime de son succès. Formule miracle pour faire de l’argent facile, il encourage les producteurs à parier sur un schéma vu et revu qui à terme tourne à vide et ne stimule plus du tout le cinéphile. Il faut chasser cette forme de paresse formelle si l’on veut continuer à voir des films vivants, et ça commence par dénoncer ce genre qui veut tout formater.
Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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