Deux ans après Le Client, Asghar Farhadi revient avec sa nouvelle œuvre, Everybody knows, projetée en ouverture du Festival de Cannes et qui démontre qu’en délocalisant son cinéma, le réalisateur iranien n’a rien perdu de son talent. Dernière critique avant la troisième guerre mondiale.
Revenue dans son village natal avec ses enfants pour assister au mariage de sa sœur, Laura fait face à un drame qui ébranle sa famille et ses proches.
Everoby knows commence par quelques plans, superbes, sur les mécanismes d’une horloge, objet annonciateur du caractère implacable de l’attente qui va peser sur les personnages et ébranler leurs liens. Comme souvent dans le cinéma de Farhadi, le film part d’un événement fort qui vient toucher les personnages, mettant à nu les êtres, leurs failles, les rancunes et les secrets. Pas de manière brutale mais progressivement par l’écoulement, parfois lent, du temps, très bien mis en scène et représenté par une grille oscillant sous le vent, le bruit de ce dernier, l’apparition d’une mèche blanche dans des cheveux.
Rarement dans la tension, Everybody knows trouve son rythme dans ce passage du temps, cette attente qui assaille les personnages, emporte le délitement des liens et instille le doute et la rumeur, tout comme elle ravive les tensions liées à leur passé ou à leur position sociale. Car le film s’intéresse moins à la victime du drame qu’à ses proches et aux répercussions qu’il va avoir sur eux et à la manière dont il va les affecter.
Cinéaste du temps et d’une certaine lenteur, Farhadi l’est aussi des émotions, qu’il capte parfaitement, qu’elles soient intimes ou partagées, comme lors de la scène de mariage qui, sans atteindre les sommets touchés par Michael Cimino dans Voyage au bout de l’enfer, est très réussie et s’avère d’une incroyable vitalité, portée notamment par la musique et une caméra immersive. C’est avec le même talent que le réalisateur saisit les questions qui vont assaillir les personnages et les ronger, délitant les liens, parfois fragiles, qui les unissent. Si elles sont par moments exprimées avec excès par les acteurs, c’est dans la sobriété que les émotions des personnages s’expriment avec le plus de force et d’acuité, guidées par une mise en scène qui ne se nourrit plus de finesse que de grands élans.
Sombre, le film l’est jusqu’au bout, dans son approche du sacrifice, synonyme, pour Farhadi, d’aucune gloire ou reconnaissance, seulement d’oubli et d’abandon. Sitôt son geste accompli, le brave disparaît de l’écran comme il semble le faire de l’esprit de ceux qu’il a aidés, soucieux de préserver les apparences et honteux de n’avoir un faire face eux-mêmes aux malheurs de leurs proches.
Porté par la finesse de son écriture et une mise en scène réussie, Everybody knows lance idéalement le Festival de Cannes.