Mai 2016. Christopher Nolan débarque sur la plage de Dunkerque pour le tournage de son nouveau film. Secondé par un Hoyte Van Hoytema armé de ses caméras IMAX 70MM, ils sont parés à en découdre aux côtés de 1500 figurants dans une version rétro d’un tronçon de la ville. Au loin, j’observe le tournage. Je vois renaître devant moi une partie de l’Histoire qu’on m’a raconté depuis que je suis né. Et puis, une chose m’interroge. Malgré son air affirmé de blockbuster, de par son réalisateur et sa date de sortie, l’équipement de tournage est réduit à son strict minimum. Ce constat fait naître en moi des spéculations sur le traitement naturaliste du film. Je vis désormais dans l’attente de voir ma patrie, sur grand écran, sublimé par le noble format IMAX et les artistes aux commandes.
Juillet 2017. Christopher Nolan offre enfin son film au public. Sur l’écran du Grand Rex apparaissent, en 70MM, des bâtiments et un horizon familiers. La maison est venue jusqu’à moi. Et c’est encore plus beau que je n’osais l’espérer.
Pour ceux qui ne suivaient pas trop en cours d’Histoire ou qui sont d’une autre région que les Hauts-de-France, le film aborde l’opération Dynamo. Une manœuvre de la dernière chance consistant à rapatrier les troupes Anglaise, prisent au piège sur la plage de Dunkerque. Attaqués sur tous les flancs par la Wehrmacht, les Tommys pensent perdu l’espoir de revoir leur foyer.
« Le souci, c’est le temps »
La gestion du temps a toujours été une obsession du cinéma de Christopher Nolan. Que ce soit le dilemme final auquel est confronté le Dark Knight ou la catastrophe menaçant la Terre dans Interstellar. Le cinéaste place toujours ses personnages dans un contexte de course contre la montre. Mais si, dans les exemples précédents, les héros sont obligés d’agir en utilisant à bon escient ces précieuses secondes, sur le plage ou aux abords de Dunkerque, tous les personnages sont contraints d’attendre.
Primant pour une narration éclatée, le film se scinde en un triptyque parfaitement équilibré. Chacun des segments montrant la frustration que génère cette attente désespérée. Tous les personnages espèrent un miracle qui n’arrivera pas. Les attaques allemandes, toujours plus violentes, réduisant l’espoir à néant. Ce découpage offre des moments de tension dès sa partie introductive. Mais lorsque le dispositif est employé pleinement par le film et fait télescoper ses 3 points de vue, l’impact émotionnel est complètement exacerbé. Le film alterne des cuts plutôt courts et déroule des séquences longues de plusieurs minutes sans hésitation. La durée de chaque plan est minutieusement dosée. Ces allers-retours nous rappellent que chaque partie est dépendante l’une à l’autre. Et donc qu’une erreur, une seconde gâchée, peut causer d’immense perte. Cela joue considérablement sur le rythme du film. D’une durée d’1h47, il en paraît beaucoup plus. Ce découpage permet à Nolan de rendre extensible à l’extreme sa temporalité. Element déjà présent lors de certaines séquences d’Interstellar et qui dans Dunkerque lui confère toute sa grâce.
Moins que des personnages , les protagonistes symbolisent un groupe d’individu participant à la bataille de Dunkerque. Que ce soit le jeune soldat, anonyme durant l’entièreté du film, ou les aviateurs cachés derrière leur masque. Tous sont présentés comme des figures, des représentations. Nolan, qui d’ordinaire crée des personnages extrêmement charismatiques, prend un parti-pris radicale en soustrayant tous les éléments d’identification. Les troupes sont des spectres, des coquilles vides. Et c’est pour permettre au spectateur de s’y loger entièrement et s’immerger pleinement dans l’histoire.
« Comme de la réalité virtuelle, sans casque. »
Jamais un film de guerre n’aura été si immersif. Constamment à hauteur d’homme, le film marque par une retranscription draconienne de la réalité. Aucun long métrage n’a atteint un tel niveau de véracité en terme d’émotion. Chaque tir, chaque impact, chaque vie emportée, rien ne semble virtuel. On sue, on se crispe, on craint que la seconde d’après nous amène au trépas. Si le film se démarque radicalement de ses confrères, c’est grâce à l’utilisation d’un jargon de plans inhabituel pour le genre. Nolan navigue entre film catastrophe, thriller politique et drame intimiste. Il déconstruit morceau par morceau les passages obligés et transforme un postulat de film d’action quelquonque en un huis-clos à ciel ouvert. Affirmant l’intention de s’écarter des poncifs, il nous laisse sans point de repère. Nous sommes en terrain inconnu, comme les soldats. Rien n’est prévisible. On ne peut que subir la prochaine vague.
De plus, les techniciens ont accompli un travail prodigieux pour rendre l’expérience éprouvante. Le mixage particulièrement viscérale est transcendé par une colorimétrie rendant honneur à l’atmosphère unique qui plane sur les côtes du Nord de la France. Une œuvre synésthésique totale, proche du cinéma expérimentale. Un élément supplémentaire prouvant la position anti-spectaculaire du film. Aucune gerbe de sang, aucune explosion filmée avec fun et décomplexion.
Âpre, rugueux, brutale, Dunkerque l’est, indéniablement. La sortie de salle est éreintante mais également salvatrice après ces presque 1h30 en apnée. Noyé par les tic-tac incessants menés par un Hans Zimmer en pleine forme.
Une rumeur plus ou moins officielle dit que 5 réalisateurs disposent des pleins pouvoirs chez Warner Bros. Christopher Nolan fait évidemment partie de ce club. Avec Dunkerque, il en fait la pleine démonstration. Le film affirme une envergure cinématographique et artistique sans aucun égal jusqu’à maintenant. En rassemblant ce qui fait la quintessence de son oeuvre, Christopher Nolan touche au génie et impose, si c’était encore à prouver, sa place auprès des plus grands cinéastes de notre époque.