Peut-on faire de la critique sur les réseaux sociaux ? Oui bien sûr. Est-on en droit d’être exigeant avec des personnes prenant de leur temps libre pour transmettre gratuitement leurs avis et des contenus auprès de leur communauté ? Non bien entendu. Mais pourtant depuis que certains youtubeurs sont devenus des influenceurs la donne est en train de changer.
« Avengers Infinity war est le meilleur film du 21ème siècle »
Dernièrement on pouvait lire sur Twitter : « Avengers Infinity war est le meilleur film du 21ème siècle » ou encore un tweet, certes polémique et sans doute à prendre au second degré, affirmant que tel réalisateur est chiant ou fait des films pour coincés intellos en guise d’avis sur un cinéaste ayant plus de 50 ans de carrière. Difficile de faire plus lapidaire et dénué de fond comme commentaire. Et surtout, difficile de faire plus polémique comme sujet. Mais on a décidé de se lancer, avec comme objectif de ne jamais se positionner en donneur de leçon ou en vieux réac déconnectés du foisonnement et de la diversité que représentent les réseaux sociaux.
Mais à la limite, là n’est pas la question car tout le monde a le droit d’exprimer son opinion sur les réseaux sociaux, c’est même leur raison d’être.
Ceci étant, 10 ans après leur création les réseaux sociaux ont beaucoup évolué. A mesure que leur mode de consommation a vu naître des profils d’utilisateurs hétéroclites notamment dans le contexte du cinéma : plus tout à fait des individus parlant de leur vie quotidienne, pas vraiment des professionnels répondant à une ligne éditoriale ou un code de déontologie transparent, ces profils parfois représentés par un avatar ou par une bio ne laissant pas de doute sur leur qualité de passionnés de cinéma sont devenus des référents, si ce n’est la seule référence, de leur propre communauté.
Quelle différence avec les revues professionnelles ayant pignon sur rue jusqu’au milieu des années 2000 ? Pas grand-chose finalement, hormis leur hétérogénéité justement.
N’entrons pas dans le débat de la légitimité car tout le monde sait bien que les réseaux sociaux ont contribué à briser ce concept pourtant essentiel pour qui veut apprendre et progresser. Car comme le notait Foucault, la légitimité ne doit pas être circonscrite à un principe normatif au sens où elle ne repose pas seulement sur le respect de règles, de lois ou du droit. La légitimité ne prend tout son sens que dans le partage que cette notion sous-entend entre le « savant » (rien de condescendant ici : le « savant » défini par Jacques Rancière est une personne qui a une expertise sur un sujet, il peut s’agir d’un astrophysicien ou d’un boulanger) et son audience.
En d’autres termes, la légitimité ne va pas de soi, elle repose sur une acceptation mutuelle. Ce consentement se fonde essentiellement sur la pratique et l’expérience. C’est seulement a posteriori que des notions telles que les concours, les diplômes ou la situation professionnelle interviennent : en théorie, elles ne font que sanctionner une situation bien établie.
Revenons à notre exemple du compte Twitter exprimant un avis approximatif sur un film ou un cinéaste. Si ce tweet en reste là, aucun souci. D’ailleurs tout avis est bon à prendre, c’est même le principe des réseaux sociaux.
Mais si ce genre de tweets sont associés à des arguments fallacieux et si en plus ils sont véhiculés par des comptes qui pèsent en termes d’audience, cela peut devenir plus problématique. La légitimité acquise par ces comptes venant en quelque sorte contribuer à propager des fake news. Un exemple, récemment on a pu voir passer un tweet affirmant que Jean-Luc Godard était un cinéaste ennuyeux (pourquoi pas, il s’agit d’une opinion), mais pour tenter d’étayer son propos ce compte expliquait que le cinéaste a réalisé durant toute sa carrière le même genre de films sans prise de risque. Ce qui est factuellement faux puisque Godard est en l’occurrence célèbre pour sa carrière éclatée en 5 périodes (ou plus). Pire encore, qu’on apprécie ou non ce cinéaste, il est reconnu comme un précurseur, en particulier dans sa volonté constante d’utiliser de nouveaux supports comme la vidéo ou même dernièrement la 3D. Le plus gênant est que ce fait est facilement vérifiable dans n’importe quel article sur cet auteur.
Quels enseignements tirer de cet exemple ? Premièrement, évidemment qu’un tweet, même écrit par un compte suivi par des centaines de personnes, ne doit pas être pris pour argent comptant. Deuxièmement, que le contexte même de Twitter pousse certaines personnes à donner leur avis sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas, quitte à faire dans la provoc pour faire passer leur opinion pour une information.
« Tu écris, tu es légitime »
Autre tweet lu récemment : « Rappel : tu écris, tu es légitime. Publié par Gallimard ou par ta pomme, sur papier vélin ou photocopie, en numérique ou sur du marbre, tu es légitime. Ne laisse personne te dire le contraire. L’art et sa commercialisation sont deux choses différentes, qu’on confond trop souvent. »
Ce tweet n’est pas totalement dans le sujet car il aborde la question de la passion d’écrire mais j’extrapole volontairement en imaginant qu’il a été écrit par quelqu’un qui se disait légitime à écrire sur le cinéma. En effet, il soulève une question intéressante : est-ce qu’on est légitime par le simple fruit de la volonté ? Comme nous l’avons vu précédemment, ce n’est pas aussi simple que cela car la légitimité repose sur un principe de réciprocité : on est légitime aux yeux des autres. En somme, la légitimité ne se cueille pas sur la branche d’un arbre, elle se gagne.
Mais ce qui est encore plus intéressant avec ce tweet c’est qu’il introduit la notion d’envie : on écrit aussi pour se faire plaisir. Sur ce point, on ne peut qu’être en symbiose avec l’auteur de ce tweet. La première étape incontournable pour écrire passe par une envie irrépressible. Comment savoir si vous avez un potentiel sans vous lancer dans l’écriture ? C’est un préalable indispensable.
Sauf que c’est encore une fois un peu plus compliqué que cela. D’une part, pour certains écrivains très talentueux écrire se fait dans la douleur. D’autre part, et là on revient dans le contexte de la critique, écrire repose sur notion d’expertise (de légitimité) : je peux écrire un article sur la théorie des cordes car c’est un sujet qui me passionne, il n’en sortira rien de bon.
Ce n’est pas dans l’air du temps, mais écrire sur un sujet exige une expertise et dans une époque où on voit naître les théories les plus fumeuses (certaines personnes, même instruites, croient encore que la Terre est plate) il faut plus que jamais rester vigilants. L’expertise, c’est aussi croire au progrès : on peut tout remettre en question constamment, mais cela suppose qu’on arrive à le prouver, or la science repose notamment sur le principe de réfuter les théories passées, pas de les nier. Il faut prouver qu’elles sont fausses.
En somme, traiter d’un sujet, y compris d’un sujet pouvant paraître anodin tel qu’un film, consiste avant tout à connaître la plupart des contributions qui ont été écrites sur le sujet avant la vôtre. C’est en quelque sorte un préalable.
Enfin, ce tweet aborde la question de la commercialisation. C’est également un sujet intéressant car il suppose que ce que vous écrivez a de la valeur (marchande) aux yeux d’autres personnes. Etre publié par un éditeur de qualité signifie que ce dernier estime que ce que vous lui avez proposé a suffisamment de valeur pour être vendu. Contrairement à ce qu’y est écrit dans le tweet, c’est également comme cela que fonctionne le marché de l’art : un artiste acquiert une valeur à partir du moment où une de ses œuvres est vendue. L’inverse n’est pas forcément vrai : vous pouvez être un artiste remarquable sans avoir vendu d’œuvre. Mais si vous souhaitez entrer dans le marché de l’art et être « côté », il faut avoir vendu.
Reste une question : est-il possible de faire de la critique sur les réseaux sociaux ? Pas vraiment puisqu’il est difficile de dérouler une pensée en un tweet ou une vidéo de dix minutes. Par contre, les réseaux sociaux sont un formidable vecteur d’échanges et de partages d’avis, qu’ils soient argumentés ou non.
La puissance qu’offrent ces réseaux a permis de mettre en contacts des milliers de personnes ayant des avis divergents ou non, quitte à ouvrir des débats improbables entre des profils n’ayant parfois ni les mêmes sujets de discorde, ni le même background culturel. Cela soulève une autre question : est-il possible de débattre sur les réseaux sociaux ?
Nous reviendrons notamment sur ce sujet dans le dossier que nous consacrons à la critique et les réseaux sociaux :
Critiques et réseaux sociaux : tous critiques ! Ou le parcours d’un cinéphile devenu journaliste
Devient-on tous critiques sur les réseaux sociaux ? Les réseaux sociaux ont-ils rebattus les cartes entre journalistes et amateurs éclairés ?
Les critiques sur les réseaux sociaux influencent-elles le succès d’un film ?
La critique sur les réseaux sociaux est-elle possible ?
La critique sur les réseaux sociaux et la représentativité
La critique sur les réseaux sociaux et l’actualité : culture du buzz, du spoiler