Dernier train pour Busan est le premier long-métrage en prises de vues réelles du réalisateur coréen spécialisé dans le cinéma d’animation Yeon Sang-ho. Ce film apporte une belle illustration que des passerelles sont possibles entre cinéma d’animation et cinéma « réel ». Quelle claque, quel virtuosité narrative, quel pied de nez aux Studios hollywoodiens, en totale roue libre cet été, qui s’évertuent à nous faire croire que, finalement, on s’en moquerait un peu des créatifs… Critique contaminée.
Synopsis : Un virus inconnu se répand en Corée du Sud, l’état d’urgence est décrété.
Les passagers du train KTX se livrent à une lutte sans merci afin de survivre jusqu’à Busan, l’unique ville qui semble être épargnée par le virus.
Zombies et modernité
Nous n’allons pas tourner autour du pot, nous avons adoré ce film. L’histoire limpide nous permet de suivre la survie de passagers d’un train coréen se dirigeant vers Busan. Contrairement à la plupart des films de zombies, Yeon Sang-ho prend le temps de poser ses deux personnages principaux : Seok-woo, un père de famille travaillant dans la finance et obnubilé par son travail (excellent Gong Yoo) et sa fille Soo-ahn, peut-être un peu trop mature pour son âge. Les enjeux sont installés en quelques scènes : un père absent et multipliant les boulettes (il achète pour l’anniversaire de sa fille le même cadeau que l’année dernière), une fille souhaitant à tout prix rejoindre sa mère à Busan pour fêter son anniversaire. Une fois dans le train, les briques de l’histoire se mettent rapidement en place à mesure que la caméra traverse les voitures et nous présente en quelques plans les différents protagonistes.
Le grain de sable prendra la forme d’une jeune fille qui se glisse dans le train au dernier moment… Jusqu’ici rien de révolutionnaire. Le reste ? Une contamination inexorable des autres passagers du train, alors que des informations contradictoires venant de l’extérieur semblent annoncer un désastre à l’échelle du pays.
S’en suivront des péripéties s’enchaînant à un rythme effréné et quelques morceaux de bravoure rarement vus au cinéma ces derniers temps.
Sur le plan des influences, Dernier train pour Busan est avant tout un film de zombies dans sa plus pure tradition. Il s’inspire du meilleur, Dawn of the Dead pour son huis-clos étouffant et sa critique de la société (ici la financiarisation de la société) et 28 jours plus tard notamment pour la description méthodique de l’évolution du mal qui ronge le pays. Il reprend également les zombies de World War Z c’est-à-dire relativement rapides, enragés et attaquant en « grappes » ( 😉 ).
Sur un plan moins thématique, le film lorgne très clairement du côté de Snowpiercer – pour le huis-clos dans le train et surtout pour la narration en mouvement vers l’eldorado représenté par la locomotive. Bien entendu, il ne faut pas s’attendre à la même profondeur de traitement dans Dernier train pour Busan. Les enjeux liés à la survie des personnages priment sur les aspects politiques et les questions que cette histoire pourrait soulever sur le plan sociétal.
Mais quelle claque et quelle leçon de cinéma ! Ce film regorge d’idées permettant de renouveler un genre un peu laissé à la seule série The Walking Dead.
Nous ne spoilerons pas mais nous évoquerons juste l’innovation principale apportée par ce film : la cécité presque totale des contaminés dans le noir. En effet, les zombies se contentent d’errer et de grogner dans le noir sans réel but. Ils ne réagissent qu’à la vue de leur proie (et au son). Cette originalité est extrêmement bien amenée et relativement bien exploitée par le scénario (notamment avec les passages dans les tunnels).
Contrairement à la plupart des blockbusters actuels, les scènes d’action sont très peu découpées ce qui apporte énormément de lisibilité et une certaine fluidité dans le déroulé de la narration. Si le train est par essence un décor de cinéma clos et répétitif, le talent de Yeon Sang-ho est d’avoir compris qu’il fallait à tout prix éviter de sur-découper les scènes afin de permettre au spectateur de se repérer. En limitant le nombre de plans, le réalisateur nous permet de mieux suivre les mouvements des personnages, pour que l’action demeure intelligible. Résultat : le spectateur sait toujours où les personnages se trouvent et nous gardons constamment une bonne vision de la topographie des lieux et du sens de l’action.
L’autre intérêt des huis-clos réussis est qu’ils permettent de dépeindre une galerie de personnages hétéroclites. Et sur ce point là, on peut dire que Dernier train pour Busan est également une belle réussite : entre le gros bras sympathique, fou amoureux de sa femme enceinte mais toujours prêt à se sacrifier pour les autres, le chef d’entreprise véreux, les étudiants gentils mais un peu lisses… Bien entendu, on aura même le droit à un véritable méchant old school qui fera tout son possible pour s’en sortir, quitte à condamner les autres s’il le faut !
Blockbusters et cinéma
Tout comme dans The Strangers ou dans The Host, il est une nouvelle fois question de la jeunesse coréenne dans ce film. Ici la petite fille et la femme enceinte sont deux piliers de l’histoire. Nous ne spoilerons pas, mais leur survie deviendra au fur et à mesure un enjeu majeur.
La société coréenne est sans doute en proie à de profonds bouleversements et ce film s’en fait modestement l’écho : hormis la financiarisation de la société, on constate l’amère situation des enfants, souvent seuls, condamnés à grandir loin de leurs parents. Si tant de grands réalisateurs coréens semblent se soucier de l’avenir de la jeunesse de leur pays dans des productions à la fois divertissantes et conscientes de leur impact sur la société, il serait peut-être bon que l’on se questionne sur les autres blockbusters qui nous sont proposés ces derniers temps.
Historiquement, le cinéma de genre coréen parvient à se frayer un chemin jusqu’à nos multiplexes climatisés au gré de quelques rares perles fracassant tout sur leur passage. On se souvient entre autre de Deux sœurs de Kim Jee-woon, du cultissime Old Boy de Park Chan-wook qui avait cassé la baraque au Festival de Cannes 2004, de Memories of Murder, The Host et Snowpiercer de Bong Joon-ho, The Chaser et dernièrement The Strangers de Na Hong-jin.
Ceci étant détrompez-vous, le cinéma coréen, tout comme notre cinéma européen, est loin de représenter un havre de paix pour le cinéma de genre. Il subit les mêmes contraintes en termes de financement. Mais alors comment expliquer que ces films non-formatés pour le box-office viennent bousculer périodiquement nos habitudes cinéphiliques estivales ? Et bien si vous voulez mon avis, il n’y a aucune explication. Ou plutôt si, trois : moins de budget, moins d’intermédiaires et plus de place aux créatifs. Ici le metteur en scène Yeon Sang-ho lui-même à l’origine du projet et qui a également écrit le scénario (ce qui a son importance vu les foirades estivales au sommet desquelles figurent les différentes adaptations de licences).
Pour conclure, Dernier train pour Busan est sans doute le blockbuster de l’été. Inventif, intelligent et grand-public, ce film tendu comme un arc ne souffre d’aucun temps mort. Si les films de zombies vous effraient, pas de panique, celui-ci est quasiment tous publics et l’humour distillé (que nous n’avons pas évoqué mais qui est très présent) permet de dédramatiser un scénario qui s’avère sombre et désespéré.
Fiche technique :
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Réalisation : Yeon Sang-ho
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Scénario : Yeon Sang-ho
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Acteurs principaux : Gong Yoo, Jeong Yu-mi, Ma Dong-seok
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Sociétés de production : RedPeter Film
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Pays d’origine : Corée du Sud
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Genre : zombies, thriller
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Durée : 118 minutes
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Sortie : 17 août 2016