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Note de la rédaction :

Après la critique positive de Doc Ciné sur le succès surprise Victoria, Étienne ne pouvait pas laisser passer ça et vous propose une vision plus contrastée de ce film allemand qui a tant fait parler de lui. Contre-critique.

On a beaucoup écrit sur Victoria, sur la virtuosité de son dispositif et ce plan-séquence spectaculaire qui embrasse le film en une seule et même scène, oui, vraiment, quelle performance mon Dieu.
Un des avantages de ce procédé, comme l’utilisait parfois Maurice Pialat par exemple via de longs plans-séquence fixes, c’est l’énergie au présent de ces scènes sans coupe, la vitalité des acteurs à qui on donne le temps de se laisser aller, car oui, le temps, au cinéma, est essentiel et trop souvent charcuté par la saucisse à montage.
Le plan-séquence peut aussi, comme chez Brian de Palma ou Paul Thomas Anderson, introduire un lieu, des personnages, le cadre d’un récit avec une économie de moyen remarquable. On pense à Magnolia, on pense à Snakes Eyes et on pense à cette vidéo très chouette sur les Oners (plan-séquence en anglais) de Steven Spielberg – moins connu pour cette spécialité mais diablement efficace.
Dans Victoria le plan-séquence à d’abord été conçu comme une scène clé qui gagnerait en intensité à être filmée en continu, celle du braquage. C’est seulement plus tard que Sebastian Schipper a poussé l’idée plus loin jusqu’à imaginer le film lui-même, dans son ensemble, comme une seule et même prise dans Berlin. Un challenge. Un défi impossible.
Et je pense justement que le gros point noir du film est son principe même, vouloir tout filmer en une prise, que l’idée est complètement artificielle et que ce système, poussé jusqu’au bout s’attaque directement aux intérêts du film.

Trois points

  1. On ne voit rien de Berlin parce que pour les biens du tournage il a fallu se contenter de trois pâtés de maison. Bien sûr, ils ont tourné en pleine rue la nuit, c’est dingue, bravo, mais tourner en rond sur deux blocs alors que la ville avait tellement à offrir, pourquoi ? Ah oui, parce qu’on ne peut pas couper… dommage.
  2. Le fait que les acteurs, bien qu’ils soient libres d’une certaine manière, sont finalement contraints d’improviser une partie des dialogues et la première partie du film s’en trouve nettement appauvrie : en attendant que l’intrigue se précise et que le film devienne plus haletant, le spectateur doit en passer par des scènes lourdes et banales d’errances (qui auraient pu être belles, qui auraient pu être un film en soit) dont on sent qu’elles sont un prétexte pour la suite. D’ailleurs les invraisemblances du scénario (assez grotesques) ne se justifient que par les épisodes dramatiques qui nous attendent et le besoin de mener le spectateur coûte que coûte jusqu’à la deuxième moitié.
  3. Et c’est le hic qui dérange avant tout. Le plan-séquence opère sans césure, sans coupe, il nous fait vivre au présent et oublier que nous sommes dans un film, oublier que nous sommes au cinéma hors on ne voit jamais la caméra autant que dans Victoria, la faute à ce parcours du combattant pour le chef opérateur. Dans l’ascenseur, on est bien serrés tiens. Dans la voiture, une place est réservée à l’avant pour la caméra, comme si elle était un personnage. Quand les jeunes montent sur le toit, Victoria passe la première par l’échelle puis… La caméra ! Ce n’est pas un personnage, un regard à la première personne, c’est littéralement la caméra qui monte, on sent le pauvre garçon qui doit grimper sans trop bouger, puis viennent les autres garçons. On se sent gêné pour l’équipe du film.
Bref, Victoria, en voulant performer dénonce malgré lui constamment ses artifices, et manque la plongée spectaculaire en nous tenant toujours la tête hors de l’eau. Quand Victoria pleure on sait qu’elle va devoir vite s’arrêter parce que Schipper ne coupera pas et qu’il y a un film à terminer.
La forme cannibalise tout, elle devient obsédante et dessert le projet, là où des plans travaillés et plus mesurés obtiennent par ailleurs les effets recherchés. Victoria donne malheureusement l’impression d’être un film record qui ne sait pas après quoi il court.
Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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