L’expérience de visionnage D’après une histoire vraie, pour tout amateur des films de Roman Polanski, en particulier sa trilogie des appartements maudits (Répulsion, Rosemary’s Baby, Le Locataire) s’apparente à une dure confrontation avec un objet filmique qui provoque l’incompréhension puis la tristesse nostalgique de la grande période du réalisateur.
Polanski, auteur de films majeurs, qui sont autant de jalons dans l’histoire du cinéma, réalise ici un thriller que l’on est en droit d’attendre comme l’héritier de ses premiers films, entre sexualité et horreur, dans un mélange à l’ambiguïté terrifiante. Pourtant, D’après une histoire vraie est une déception. On y voit les thèmes du réalisateur : le double, l’intrusion, l’aliénation jusqu’à la folie, jusqu’à ce qu’on ne sache plus qui est qui, qui a imaginé quoi. Seulement tout ici se perd dans une écriture simpliste, dans des évidences bien trop marquées, à peine dissimulées derrière une mise en scène presque absente. La marque de fabrique Polanski, la terrible ambivalence de ses récits, qui ne cessent de décaler, d’intervertir, de travestir, de projeter le spectateur dans une tension paranoïaque semblable à celle éprouvée par ses personnages, tout ça est ici réduit à un rien du tout, aux restes d’une filmographie horrifique géniale.
L’originalité du film vient de ce qu’il oppose ici deux femmes, et non, comme le réalisateur le souligne lui même, deux hommes ou un homme et une femme. Grande première donc, malheureusement pas pour le meilleur. Le jeu des actrices est bien sûr pour beaucoup dans le manque de puissance de cette redite maladroite, entre Emmanuelle Seigner (trop) fatiguée, et Eva Green qui pousse toujours trop sa diction, dérivant vers un cliché malhabile. Elle incarne un personnage sur-caractérisé, on ne peut plus éloigné de la moindre subtilité, toujours là où on l’attend. Le twist final, s’il éclaire un peu le titre et cherche à développer une réflexion sur la frontière poreuse entre réalité et fiction, sur la force de l’imagination, ne parvient pas à sauver cette triste parodie du Polanski des années 70.
Plutôt que de m’étendre, nous conseillerons donc à ceux qui ne le connaissent pas ou qui ont été déçus par ce film, de se précipiter à la Cinémathèque pour y (re)voir le culte Chinatown, le méconnu Ché ?, le sous-estimé Frantic, ou encore des films plus récents, Le Pianiste ou Carnage, sorti en 2011 et dans lequel on ressentait encore le malaise profond, la tension permanente que sait installer le réalisateur.
Mais avant tout, c’est le visionnage du Locataire que nous conseillons. Le petit appartement parisien triste et insalubre que loue Trelkovsky (interprété par Polanski lui même), de la fenêtre duquel l’ancienne locataire a voulu se suicider, devient le théâtre de l’horreur paranoïaque d’un homme que l’on transforme, que l’on travesti. Si le personnage de Trelkovsky ne trouve pas d’antagoniste principal (comparable à celui d’Eva Green dans D’après une Histoire Vraie), le film suit sa chute, implacable et névrotique, dévoré par les autres, ses voisins (?), dévoré par sa propre folie (?), dans une ambiance kafkaïenne hallucinatoire, dont les décors se modifient aux gré des délires de ce K en puissance. Une expérience sensorielle remettant en cause la perception de l’image, sa vérité, et qui s’achève dans l’une des fins les plus marquantes du cinéma, sentencieuse et impitoyable.