Daphné, le premier long métrage de l’écossais Peter Mackie Burns, met en scène le personnage éponyme, une femme cynique et désabusée, interprétée par Emily Beecham, qu’on avait pu voir précédemment dans le Ave Caesar des frères Coen. Dans le quartier métissé d’Elephant and Castle, au sud de Londres, Daphné, jeune femme rousse d’une trentaine d’années, travaille dans un restaurant le jour et fréquente les pubs et les clubs la nuit. Elle parle philosophie, enchaîne les relations sans lendemain et boit… un peu trop. C’est le style de vie qu’elle a choisi et qui semble lui convenir.
Daphné s’inscrit dans la veine d’un cinéma britannique réaliste, qui cherche à filmer un quotidien plus que de l’exceptionnel, poussant vers l’authenticité et le propos social. Ici, Burns baigne son personnage dans notre époque et donc dans un état d’esprit frappé de morosité, qui renverra sans doute beaucoup de spectateur, qu’ils soient anglo-saxons ou français, à leur propre abattement, leur propre amertume. Cette ambiance, Daphné y répond comme beaucoup par une arrogance sardonique. C’est sur cette jeune femme et son évolution, voire sa révolution, que portera le film.
L’actrice est naturelle, on la côtoie et l’apprécie, malgré ses vices et ses colères. C’est un beau personnage, fort, délivré de beaucoup de normes sans que le film insiste pourtant dessus, faisant de cette liberté quelque chose de naturel pour elle, et amenant Daphné vers une justesse de ton appréciable. Les écueils sont évités, le film ne devenant pas un manifeste simpliste gardant plutôt dans son récit comme dans sa psychologie une nuance efficace.

On peut en revanche émettre quelques réserves au niveau esthétique. L’image étant dirigée par son nécessaire réalisme, elle devient terne, malgré les néons des bars et autre éclairages nocturnes qui offrent quelques plans intéressants. De même, l’usage du zoom, qui aplatit les zones urbaines, accumule les perspectives en les agglomérants, vient montrer une réelle volonté de mise en scène, liée notamment à l’environnement dans lequel évolue Daphné, un quartier en mutation. L’ambition visuelle reste cependant trop mesurée, surtout pour un projet reconduit pendant dix ans, qui ne parvient pas à éclater. Burns se dit pourtant inspiré de Wong Kar-Wai, cherchant du côté d’un expressionnisme des lumières, qui peine malgré tout à se faire ressentir, et à réellement influer sur les sentiments du spectateur.
Daphné devient sur sa fin un manifeste anti-cynisme, dans une dernière partie qui remet en cause le mode de vie de la jeune femme, provoque chez elle une prise de conscience. La nuance du film s’évanouit alors quelque peu dans un message sommaire, qui reste honorablement délivré sur le I found a reason du Velvet Underground.