Nick Park, le créateur de Wallace et Gromit, met en scène son premier long-métrage après plus de dix ans d’absence. Rien que pour cela, Cro Man est un événement à ne pas rater. Critique.
Les studios Aardman reviennent en forme
Cro Man (Early Man en version originale) est plus qu’une promesse alléchante pour tous les fans d’animation puisqu’il allie le savoir-faire des Studios Aardman et un sujet en or pour ceux qui ont déjà abordé avec talent le cinéma muet : la Préhistoire.
Néanmoins, si le petit dernier des célèbres studios de Bristol aborde une thématique on ne peut plus « aardmanesque », Nick Park et son équipe ont suffisamment de talent pour nous surprendre encore et choisir un angle d’attaque pour le moins surprenant… Mais nous y reviendrons.
Si on pouvait raisonnablement s’interroger sur le retour aux affaires de celui qui n’a finalement réalisé que 2 long-métrages en 30 ans de carrière, les premières minutes secondes du film suffisent à rallumer la flamme. Le film s’ouvre avec une formidable séquence en stop motion présentant en quelques minutes la version très personnelle du studio de l’extinction des dinosaures et des débuts de l’âge de bronze… dans la banlieue de Manchester !
Cette séquence d’ouverture, un bel hommage au travail d’orfèvre de Ray Harryhausen permet en quelques minutes complètement dingues de poser à la fois l’univers coloré et de poser l’enjeu principal du film : les débuts du football !
Autant vous le dire d’emblée, en matière de mise en scène le reste du film est à l’avenant de cette scène d’exposition : un pur bijou formel et de storytelling efficace.
Une comédie jouissive
Loin de Chicken Run dont la symbolique et les enjeux avaient des ambitions universelles, Cro Man s’avère être une histoire plus modeste en apparence mais dont les enjeux sont très actuels. L’histoire se concentre en effet sur un groupe d’hommes des cavernes menés par Doug et son ami Crochon (oui, un cochon des cavernes…) voulant conserver leur terre et qui, pour ce faire, devront s’improviser en équipe de football professionnelle.
N’allez pas y voir une métaphore du Brexit ou du repli identitaire ambiant, loin de là. Ce film est tout sauf réactionnaire et se pose, au contraire, en défenseur des minorités et des préjugés. Ce film vous permettra d’illustrer auprès de vos enfants ou neveux une belle leçon de vie : le progrès ne doit pas vous faire oublier des valeurs simples comme l’entraide, l’amitié et le respect. En effet, les adversaires de Doug et de son équipe improvisée sont certes tous plus civilisés et entraînés mais n’ont pas la même envie et soif de s’en sortir. Et mieux encore, comment ne pas voir en ce grand méchant manipulateur assoiffé d’argent la caricature à peine grossie de nos dirigeants actuels ?
Ce qu’il y a de décidément fort dans l’univers des studios Aardman c’est leur volonté de poser des questions fortes, l’air de rien, en gardant toujours à l’esprit que l’essentiel doit passer par l’action sous une forme de bonne humeur communicative. En contraste avec la naïveté et les bons sentiments Disney, l’ambition parfois un peu plombante de Pixar, Nick Park et son équipe parviennent encore à nous proposer un cocktail d’action, d’humour bon enfant et de mise en scène proche du burlesque à la Buster Keaton ou Harold Lloyd.
Et puis on se doit de finir sur le travail de fourmi qu’a dû être d’animer les séquences, notamment celles du match de football. Car inutile de le rappeler Cro Man est fait à la main, les empreintes de doigts sur les personnages vus en gros plan ne laissent aucun doute. Les rares moments appuyés par la CGI s’avèrent être à la fois plus anecdotiques et moins convaincants (la scène de l’oiseau préhistorique).
Dernier point, la VF avec Pierre Niney et Stéphane Ronchewski (la voix du Joker dans The Dark Knight) est très correcte. Par contre, en VO vous avez le droit à Eddie Redmayne, Maisie Williams et Tom Hiddleston, à vous de voir…
Pour conclure, on peut dire qu’avec Dug et sa tribu Nick Park tient enfin, après Wallace et Gromit, des personnages capables de mettre en valeur leur savoir-faire unique. Cro Man est en cela une première pierre (ah ah) pouvant servir de socle à une future saga qu’on espère encore longue.