Il y a 10 ans Craven lançait une entreprise un peu opportuniste visant à remaker son fauché “la colline à des yeux” avec beaucoup plus de moyens. Toutefois, le projet ayant été confié au prodige de l’horreur français Alexandre Aja et à son compère Grégory Levasseur, il partait sur de plutôt bonnes bases. Mais le duo qui a donné naissance à l’excellent “Haute tension” a-t-il su rendre ce remake intéressant et, surtout, a-t-il su le rendre pertinent ?
Mettons déjà les choses au clair, il n’est nullement question de dénigrer le film de Wes Craven. En effet, même s’il n’a rien de vraiment exceptionnel, il n’en reste pas moins une série B assez appréciable. Son réalisateur a su bien exploiter son budget sans que le film ne paraisse vraiment cheap. La mise en scène, très épurée, est majoritairement composée de plans simples : plan longs au but surtout économiques, souvent filmés à l’épaule, courte focale limitant l’utilisation d’effets horrifiques cheap… D’autant que ces astuces ne se remarquent pas trop et que la mise en scène, sans être très inventive, se tient. Les lieux de tournage sont aussi finement choisis puisqu’il ne s’agit que de quelques décors naturels qui restent toute fois assez impressionnants.
Seulement, Aja a pris possession du projet avec une ambition certaine, celle de faire de cette petite série B un grand film d’horreur. Il reste, tout d’abord, assez fidèle à la trame de son modèle, du moins dans les trois premiers quarts, même si cette comparaison ne peut s’effectuer qu’en apparence, car en substance, les deux films sont assez opposés. En effet, c’est à l’aide de petits changements qu’Aja transforme vraiment le film de 1978. En terme d’écriture, ce dernier pèche surtout au niveau de l’empathie qu’il crée car sa démarche est paradoxale. On sent bien que Craven aime la famille de Freaks qu’il filme, il la préfère même aux victimes, mais le soucis est qu’il veut en faire une menace, et tout le problème est là. Dès la première scène, il décide de nous montrer Ruby, la benjamine de cette famille de monstres, plutôt que d’en faire une menace en la plaçant hors champ, comme l’a fait Aja. On adopte ainsi un point de vue très proche des “antagonistes”, ce qui est également le cas de certaines scènes en montage alterné. Cependant, durant d’autres scènes, ils sont placés hors champ et résumés à des voix off dans l’unique but de les rendre menaçants. Le spectateur ne sait donc plus où se mettre, puisque Craven ne rend pas la famille de touristes vraiment attachante. Les partis pris de traitement des freaks sont aléatoires, on ne sait plus vraiment de quel côté se ranger, et l’on peine à définir le genre du film. A l’inverse, Aja parvient à garder de bout en bout l’aspect menaçant des monstres (littéralement ici, puisqu’ils n’ont physiquement plus rien d’humain).
Aidé par son budget, Aja transcende véritablement la mise en scène du film de Craven, tout est beaucoup plus beau et soigné, tout en gardant un pied dans cette ambiance old school.Le budget ne faisant évidemment pas tout, on décèle dans le remake un vrai talent et une sensibilité de cinéaste grâce à des trouvailles visuelles d’un niveau supérieur au film de Craven. On est ici face à un survival pur et dur qui s’assume et digère parfaitement ses références, quand le film de 1978 peine à évoluer dans un genre.
Le remake rajoute à la trame narrative un aspect beaucoup plus large en lui conférant une dimension politique. En effet, la famille typiquement américaine (un peu clichée mais c’est pour la bonne cause) se retrouve confrontée à une menace causée par… l’Amérique elle-même. De plus, paradoxalement, les mutants attaquant la famille ont été agressés par l’armée, symbole de valeurs défendus par la famille et surtout par le père (pro-NRA, ex-flic…). Mais tout ceci prend un sens radicalement plus symbolique dans le dernier tier du remake, prenant plus de libertés vis-à-vis de son aîné. Ici, le personnage auquel on était le plus attaché, le gendre, qui était jusqu’alors pacifiste décide de prendre les armes pour sauver les siens, une situation qui renvoie notamment aux “Chiens de paille” de Peckinpah. Cette volonté de créer de l’empathie pour un personnage ayant une part morale que le spectateur réprouve rappelle, plus globalement, le nouvel Hollywood (même s’il s’agit que d’une partie du film ici). Les actes violents commis par ce personnage pour lequel on avait de l’empathie se posent comme une critique des Etats-Unis, puisqu’ils permettent une distanciation avec eux-même. En effet, ce sont ces valeurs républicaines qui font adopter au héros un comportement plus brutal et la contradiction avec son attitude pacifiste quelques minutes plus tôt ne fait que vérifier son opinion qu’il avait alors à propos de l’armement.
Enfin, je pense qu’il est intéressant de faire un parallèle entre la démarche d’Aja pour ce film et celle d’un autre cinéaste : Paul Verhoeven (toute proportion gardée, bien-sûr). Les deux réals ont commencé en tournant dans leur pays natal (la France et la Hollande) et se pointent aux Etats-Unis réaliser un film de genre viscéral qui sera un succès (La colline pour Aja, Robocop pour Verhoeven). Mais là où le rapprochement est plus flagrant, c’est dans la façon qu’ont les deux réalisateurs de faire une satire politique des US et de se complaire dans le fait de rendre fun les images qu’ils condamnent. Par exemple, quand Doug (le gendre) tue un mutant avec un drapeau US avant de remettre ses lunettes dans un plan iconique en contre-plongée sur de la musique patriotique, c’est une critique des valeurs républicaines. Cependant pour impliquer le spectateur américain et qu’il puisse se poser des questions il faut, certes, remettre en question cette morale, mais il faut aussi qu’il puisse prendre son pied devant ces images sinon impossible qu’il relativise sa morale. C’est une façon de créer de la satire que l’on retrouvait déjà dans Robocop (sa violence graphique, les punchlines cool mais réac de Robocop…).
Au final, même si “La colline a des yeux” de 1978 est très correct, Aja et Le Vasseur ont su créer, en se basant sur ce petit bis devenu culte, un véritable mythe au sein d’un film intelligent et viscéral.