Trois ans après le très réussi Love, Gaspar Noé nous livre en guise de best, ou plutôt de worst, of de son cinéma Climax, étonnant objet cinématographique qui relève parfois plus de l’art contemporain que du septième art.
Voir un film de Gaspar Noé, c’est l’assurance de de vivre une expérience sensorielle parfois épuisante, et Climax ne fait pas exception.
Dépeignant une soirée organisée par une troupe de danse préparant une tournée, le film met son scénario et sa mise en scène tout entiers au service d’une idée résumée en une phrase : « vivre est une impossibilité collective ». Ainsi, après une chorégraphie première remarquablement exécutée, voit-on les personnages s’éloigner, se diviser en petits groupes et l’hostilité et les tensions monter, jusqu’au basculement. La danse, en cela, est une métaphore parfaite : d’abord moyen d’expression, elle se transforme petit à petit en une pantomime de plus en plus violente et camée. Au début contenus par ses codes, les sentiments, les émotions finissent par déborder et submerger des personnages désorientés dont les corps ne sont bientôt plus capables que d’exprimer leurs instincts les plus violents. Privés de paroles, ils hurlent, errent dans cet étrange décor, entre internat et salle des fêtes, s’affrontent et baisent, s’enfermant en eux-mêmes et ne se tournant vers les autres que pour assouvir leurs pulsions.
A ce scenario en forme d’apocalypse, Gaspar Noé offre une mise en scène époustouflante. Passés un très beau plan aérien introductif et de courtes interviews des personnages, qui évoquent le documentaire, le réalisateur nous plonge dans un premier plan-séquence, un des maîtres-mots du film, immersif et aussi précis et énergique que la chorégraphie qu’il représente. La suite est à son image : épousant les mouvements des personnages, la caméra les suit dans leurs errances avec une fluidité impressionnante, passant de l’un à l’autre et se fondant dans la montée en puissance de leur trip halluciné. Tournant son objectif dans tous les sens, nous assommant par une musique et des hurlements assourdissants, qui répondent à la démence des situations, Climax vise à la perte de repères par la saturation des sens, ce qui fait à la fois la force de ce film performatif, qui fait partager aux spectateurs les sensations de ses personnages, et sa faiblesse, tant Noé pousse loin cette idée et agresse le spectateur, le noyant sous les signaux jusqu’au bord de l’épuisement, flirtant régulièrement avec une outrance prête à basculer dans le grotesque. Et si, malgré une seconde partie en permanence sur la corde raide, le réalisateur ne s’abîme pas dans le ridicule, il le doit beaucoup à sa direction d’acteurs et à son écriture.
Faisant appel à des danseurs, comédiens non professionnels à l’exception de Sofia Boutella, Gaspar Noé leur a laissé sur le plateau beaucoup de liberté, aidé en cela par un scenario seulement écrit dans les grandes lignes et favorable à l’improvisation. Le résultat est parfois étonnant, oscillant entre une grande spontanéité et un jeu par moments peu naturel, marqué par une forte dimension physique liée à la nature de danseurs des acteurs, mais permet d’obtenir une forme d’authenticité qui empêche de film de tomber dans le ridicule.
Remarquablement réalisé, Climax, que le réalisateur définit volontiers comme un « worst-of » de lui-même, évoque fortement ses précédents films tant on y retrouve, en concentré, des éléments de mise en scène de ces derniers, des couleurs de Love aux mouvements de caméra d’Irréversible et Enter the Voïd.
Expérience déroutante, parfois difficilement soutenable, le film ne laisse pas indifférent. Il provoquera sans doute la détestation de certains et l’admiration d’autres mais on ne peut qu’en saluer l’audace, la sincérité et l’originalité.