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Note de la rédaction :
Note de la rédaction :
Jouons si vous le voulez au petit jeu des devinettes et autres interprétations : que nous disent l’affiche et la première image de Carol ? En quoi sont-elles fidèles au film ? Qu’annoncent-elles ?

L’affiche tout d’abord. Deux femmes, séparées par une coupe. Cate Blanchett, en haut, prend légèrement plus de place, elle occupe plus franchement son cadre et prend le titre bien que Rooney Mara soit le personnage principal – du moins le film est raconté depuis la perspective de Thérèse. Un amour impossible, deux visages tournés dans des directions opposés, oui, mais des regards en coin, un oeil qui fixe, une symétrie qui nous fait penser que, malgré tout, il y a communication.
C’est tout le programme du film : Carol sera condamné au champ-contre champ. Le but de la mise en scène, comme souvent dans les histoires d’amour, sera de réunir en un plan ses deux femmes, de finalement leur offrir une image ensemble, une légitimité. Ce jeu des regards, c’est par là que passera la mise en scène de Todd Haynes, grand pudique, génie du détail. Avec le champ-contre champ, la possibilité d’en dire plus par les regards que par les dialogues (les dialogues à ce titre, sont presque accessoires, le film se sent, l’image transpire le désir de ses héroïnes, Carol pourrait se voir sans le son, mais ce serait se priver du très beau thème musical qui revient comme des vagues…), c’est donc dans la première heure Thérèse qui regarde de trois quart, consentante mais pas effrontée, Carol qui offre elle les plus brûlants et directs regards caméra, qui prend l’initiative.
Carol affiche du film
Si Carol prend l’initiative, c’est qu’elle est une femme forte. Elle est riche, conduit sa propre voiture, porte une arme. Elle dispose de Thérèse. Lui fait des cadeaux. À cette supposée force, Cate Blanchett apporte son extrême sensualité, son élégance. La deuxième moitié du film brisera peu à peu la carapace pour faire de cette force une fragilité – c’est toute la beauté du mélo, genre mal aimé chez nous. Todd Haynes se réclame une fois de plus de Douglas Sirk, le roi du genre dans le Hollywood des années 1950. Comme Fassbinder avant lui, Haynes avait tourné un remake de Tout ce que le ciel permet (1955) qui lui avait permis d’évoquer de biais la question des amours interdites. Il traite ici en adaptant un roman de Patricia Highsmith de l’homosexualité plus frontalement, avec tous les tabous que cela comporte dans l’Amérique de l’après-guerre.
Ce qui nous mène au premier plan du film. Avant de s’envoler dans les rues humides de New York la nuit, la caméra s’attarde longuement (générique) sur une bouche d’aération, une grille, qui apparait en très gros plan comme les barreaux d’une prison. Carol serait l’histoire d’un interdit, d’un isolement, d’un empêchement. La prison est mentale bien sûr mais se traduit dans la réalisation toujours sobre et subtile de Todd Haynes par un motif récurrent, cette manière qu’il a de toujours filmer ses personnages derrière des vitres : celle d’une restaurant, le pare-brise d’une voiture, la fenêtre d’un appartement. Dans cette prison de verre, impossible de laisser s’exprimer ses sentiments. Mais sous la surface bouillonnent les passions les plus violentes. Rooney Mara, prix d’interprétation féminine à Cannes joue parfaitement l’épanouissement d’une femme de rien à qui l’amour donne des ailes.
Pour compléter un casting splendide, Kyle Chandler, remarquable en mari castré au physique des fifties. Tour à tour aigri, violent, alcoolique, fouineur, jaloux, il laisse en quelques apparitions une formidable impression de désarroi. Enfin Edward Lachman à la photographie fait un travail renversant de beauté. Remarqué chez Wim Wenders, connu pour Virgin Suicides, il touche ici au chef d’oeuvre (on est presque chez Wong-Kai Wai ! Carol est-il le nouveau In the mood for Love ?).
Ce conte de Noël aigre-doux (« A Christmas Carol » disent les américains) est le plus beau film de ce début d’année. Un crescendo émotionnel que l’on n’oublie pas de sitôt. 

Fiche technique :

Titre original : Carol
Réalisation : Todd Haynes
Scénario : Phyllis Nagy d’après Carol de Patricia Highsmith
Acteurs principaux : Cate Blanchett, Rooney Mara, Sarah Paulson, Kyle Chandler
Sociétés de production : Film4, Killer Films, Number 9 Films
Pays d’origine Drapeau : Royaume-Uni, États-Unis
Genre : Film d’amour
Durée : 118 min
Sortie : 13 janvier 2015
Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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