Incroyable concours de circonstance, notre journaliste était au rayon fromages de son supermarché préféré quand, entre deux saint-Moret, ne voilà-t-il pas qu’il tombe sur Richard Linklater, le réalisateur de BoyHood, my God !, DocCiné a vraiment le bras long. Interview.
Alors, ton Boyhood là, c’est de l’art ou du cochon ?
DC: Richard, ton Boyhood là, c’est de l’art ou du cochon ? Je veux dire le procédé de filmer sur quinze ans tes acteurs, ça ajoute quoi à quelques millimètres de maquillage ?
RL: Stop. On me fait un faux procès. Il y a un côté monumental dans ce projet et les spectateurs associent souvent cette idée à quelque chose de spectaculaire. Or mon film est pensé différemment, très profil bas, je voulais filmer les moments ordinaires de la vie, les petits riens, les scènes que d’habitude on coupe parce qu’en une heure et demi on privilégie le dramatique… Le film est déceptif, il tient là, tout entier dans ce contraste.
DC: Tes films travaillent tous autour de la question du temps. Les trois Before sont-ils si éloignés de Boyhood ?
RL: Sur les Before je voulais toucher du doigt quelques questions philosophiques, en les vulgarisant naturellement, mais ce sont avant tout des films parlés. Julie et Ethan qui ont même co-écrits le dernier épisode avec moi, se renvoient la balle théorique. Boyhood se ressent davantage. On y découvre que les petits riens comptent, que justement une vie entière peut se résumer à ces scènes ordinaires dans lesquelles les enjeux, eux, sont parfois disproportionnés.

Un portrait du jeune type américain
DC: Qu’est-ce que tu veux dire pas là…
RL: Au début, le dispositif met du temps à prendre. Mes personnages n’ont pas l’épaisseur que seul le temps peut donner. C’est aussi pour ça que le film devait faire au moins deux heures trente. Il faut sentir le passage du temps. Mais dans sa deuxième moitié, il y a des moments clés. Quand le prof de photo essaye de raisonner le garçon, de le provoquer, de savoir où il veut aller dans la vie, peut-être que cette conversation sera plus à même de le changer en profondeur qu’une scène dramatique, le divorce des parents ou une dispute convenue qu’on aurait trouvé dans un film plus académique.
DC: L’académisme parlons-en. Beaucoup de critiques ont trouvé le film trop conventionnel. Trop américain peut-être.
RL: C’est un portrait de l’Amérique ou du jeune type américain. Il est monsieur-tout-le-monde. En fond, j’ai travaillé la toile politique, les élections permettent de dater, comme les musiques utilisées, très nineties dans les premières scènes, puis des morceaux pops connus ensuite. Ce portrait est même davantage, c’est un portrait de nous tous. Il n’y a pas un spectateur qui ne se reconnait pas dans ce film. Du moins c’était l’objectif de départ.
DC: Oui, s’il est américain, il se trouvera dans les passages obligés : fêtes de familles, élections, système scolaire etc. Mais le film n’a pas la vocation universelle qu’il recherche.
RL: Bon, peut-être. C’est subjectif après tout. Je ne sais pas si tu connais Georges Perec mais il y a un côté « Je me souviens » que je voulais faire passer dans le film. Je crois avoir réussi cet aspect. Pour parler à une culture il faut plus ou moins la cibler donc j’assume ta critique.
DC: J’ai aussi été perturbé en un sens par la question : docu ou fiction ?
RL: Oui naturellement tout est écrit, scénarisé, mais le temps, lui, est réel. J’aime justement bousculer les catégories ici, il y a du faux dans le vrai, là où d’autres cinéastes proposent habituellement du vrai dans le faux. Ou l’inverse, ahahahah. Enfin tu vois ce que je veux dire !
DC: Merci Richard, trop LOL, allez, je te laisse avec ton brie. Bonne continuation !
En bonus track une splendide vidéo hommage au travail de Linklater sur le passage du temps dans son cinéma et la parole filmée. Enjoy !