« C’est un grand copain Albert. […] Je sais qu’il rêvait de faire son long dimanche… Il en bavait quand on tournait. Je suis très content qu’il ait réussi à faire son film sur la guerre de 14. Le style Dupontel est de la même famille que le mien […] Je ne lui ai pas donné de conseils, mais il m’a dit qu’il a revu Un Long Dimanche. »
C’est ce que Jean-Pierre Jeunet a déclaré lorsqu’on l’interrogea au sujet du nouveau film d’Albert Dupontel. Cinéaste méprisé à ses débuts avec Bernie puis porté au nu – supplément jolie revirement de vestes de la profession – depuis le sacre de 9 Mois Ferme aux Césars 2013. Le film que mentionne Jeunet, c’est Au Revoir Là-Haut. Nouveau film de et avec Albert Dupontel donc, adapté d’un roman de Pierre Lemaître, élu prix Goncourt en 2013. Attendu par une plus grande frange de spectateurs, est-ce qu’Albert Dupontel a pour autant dilué son corrosif esprit de contradiction ? Poursuit-il ainsi son travail plastique et visuel depuis 20 ans ?
Le nerf de la guerre
La réponse est bien évidemment oui. Et non. Pour son 6ème film (et première adaptation), Albert Dupontel tourne le dos à une France contemporaine au profit des années folles. Une période d’incertitude où l’on tente de se remettre de la Grande Guerre par n’importe quel moyen. Du moment qu’il nous éloigne du totalitarisme ambiant. C’est dans ce contexte que l’on suit un réseau de personnages que la tranchée a réuni. Une rencontre, que la guerre a scellé à tout jamais.
D’un côté, les gentils gars du peuple, mutilés par l’atrocité de la guerre où ils n’étaient que les pions envoyés au casse pipe par une minorité de grands méchants politiciens, comptables, industriels. Un manichéisme affirmé qui peut surprendre quand on connait l’ambiguïté qui anime chacun des personnages du cinéma de Dupontel. Le genre ici est beaucoup plus proche de la fable. L’écriture emploi des archétypes trop souvent dans le cliché pour dépeindre une critique sociale, qui sous ses allures de film historique, est follement actuelle.
Dansant entre moments d’une réussite drolatique impeccable et romanesque glucosé, le film reste imprégné de la marque de son auteur. Dupontel est parvenu à tordre l’intrigue et les éléments clés du roman à travers son prisme.
Pourtant, on pénètre lentement dans l’univers de Au Revoir Là-Haut. L’exposition, composée d’avalanche de rebondissements, tarde à nous définir le héros et ses différents compagnons. Nos attentes sont constamment bousculées par une situation initiale qui prend un temps monstrueux à s’installer.
Le masque et la plume
Une fois cette mise en place indécise terminée, les péripéties s’enchaînent à deux vitesses. Et les retards de l’introduction impacte le fil de l’histoire. La progression des multiples personnages est comme un mouvement de balancier, s’éloignant pour mieux s’entrechoquer. Ce montage parallèle est malheureusement dosé inéquitablement. On s’interroge sur la temporalité du film. On peut suivre certains personnages sur des séquences durant plusieurs jours, sans avoir d’information sur l’autre partie des protagonistes. Une progression confuse, qui se permet également des parenthèses rendant l’ensemble boiteux.
Ces bifurcations ne sont pas pour autant dénuées de sens. Elles offrent des moments d’acidités dans le pur style de Dupontel. Soulignant l’appropriation de l’auteur sur le matériau original, on retrouve toutes les obsessions chères à son cinéma. Fendardes, elles restent cependant trop enfouies derrière plusieurs couches de lecture. Le premier visionnage ne rendant peut-être pas justice à ce style. Qui reste jusqu’alors inédit pour un film de Dupontel.
On perçoit en effet une nouvelle facette du style de Dupontel. Son personnage de mentor influant sur la perception de cette nouvelle écriture, Albert Dupontel semble délivrer son message de manière beaucoup moins frontale au regard des ses précédents efforts. On trouve chez lui une forme de sagesse au fil des bobines. Préférant dans le cas présent, les jeux de rôles, à se cacher derrière le masque d’un noble, il est beaucoup plus dans la réflexion et utilise la ruse pour arriver à ses fins. Utilisant les armes de ses ennemis. Il va même dans un premier temps s’opposer à l’idée du personnage principal. Comme-ci, une fatigue d’aller aux contacts s’était installée.
Les Temps modernes
Et c’est aussi dans ce rôle de mécène qu’on le retrouve derrière la caméra. Militant pour réintroduire dans les rétines françaises quelques-uns des classiques oubliés de notre patrimoine. Les films appartenant au courant du réalisme poétique (Marcel Carné, Jean Renoir, Jean Vigo…) que Dupontel utilise comme influence majeure. Un univers visuel raffinée et dense dont seuls Jeunet-Caro peuvent se vanter d’être les rivaux directs. Le réalisateur combine sa cinéphilie exigeante et bienveillante avec son héritage clownesque. Le burlesque de Keaton et Chaplin hante évidemment chaque image et les clins d’oeils pullulent. Evidemment chacune des ces citations trouvent une explication et se plie à la diégèse du long-métrage. Une manière intelligente de sensibiliser le public à un cinéma oublié, délaissé.
Techniquement, Au revoir là-haut se donne les moyens de réaliser ses ambitions. Étalonné durant 1 an au Canada, le film est une œuvre picturale intense. Chaque couleur est exaltée, créant des teintes proches du cinéma des origines (et particulièrement le procédé de trichromie des Frères Lumières). Une colorisation bluffante, servie par des plans judicieusement composés. Où chaque élément coloré est placé pour donner de la profondeur au décor et montrer le rapport de force entre les personnages par exemple.
Le film emploie à maintes occasions des mouvements de machinerie complexe. On quitte un personnage filmé en plan fixe pour le surplomber via un mouvement de grue, puis la caméra vient terminer sa course dans un bâtiment en s’introduisant par une fenêtre. Ce cadre toujours en pleine expansion adopte des mouvements très aériens.Combinant la prise de vue réelle et le CGI, Dupontel a l’ambition d’offrir un spectacle visuel permanent. Les scènes de guerre sont particulièrement réussis. On est déstabilisé et remué dès les premières images. Créant d’entrée de jeu une tension et une accroche émotionnelle pour le spectateur.
Facette(s)
Le long-métrage est également une réussite dans ses décors et costumes. Parfaitement travaillés, tous les éléments s’emboîtent et créent une identité visuelle hors norme. L’intérêt principal du film réside bien évidemment dans les différents masques portés par le héros, Edouard Péricourt. Grouillant de détails et de références, chacun est sublimé par la mise en scène. Nahuel Perez Biscarayat parvient à donner vie à différents personnages grâce à une gestuelle maîtrisée. Ses avatars masqués trouvent chacun une identité propre. Laurent Laffite tient également son meilleur rôle. Pervers et manipulateur, il offre une prestation habitée et effrayante.
Au revoir là-haut est une fresque ambitieuse qui trouve peu d’équivalent dans le cinéma Français. Une œuvre peut-être trop grande pour Dupontel, qui selon lui fait des « petits films dans son coin ». Le scénario hésite à plusieurs reprises, multipliant les passages confus. Il en découle une intrigue assez inégale. Malgré tout, l’humour de Dupontel empêche le film de rouler continuellement à vide. On tient ici le plus beau film Français de l’année. Inspiré, picturale et renversant, c’est un accomplissement inédit en terme de photographie, de cadre et d’effets visuels. En définitive, un spectacle unique, imparfait, habité par la sincérité d’un Albert Dupontel clamant haut et fort ses racines. Celles du pays du cinéma.