Après l’excellent Ex Machina, le scénariste britannique Alex Garland (28 Jours Plus Tard, Sunshine…) nous livre son deuxième long-métrage (officieusement 3 puisqu’il aurait aussi réalisé Dredd en plus de rédiger le script) Annihilation. Exit la froideur et la complexité des intelligences artificielles et place à une jungle luxuriante peuplée de créatures mutantes.
Annihilation raconte l’histoire de Lena (Nathalie Portman) biologiste de renom, envoyée à travers le miroitement. Un étrange phénomène s’attaquant à tout être vivant proche d’un météore, écrasé il y a 3 ans. Accompagnée d’une escouade entièrement féminine, elle tentera de découvrir les secrets qui entourent la région.
Annihilation fait des choix qui, aux yeux de l’industrie, sont audacieux. Que ce soit sur le papier avec son groupe d’héroïnes et son nihilisme sans compromis. Mais également à l’image, avec un esthétisme radical.
Malheureusement, face à l’audace que représente l’adaptation du roman de Jeff VanderMeer, la Paramount a opté pour une distribution plutôt curieuse. En effet, les spectateurs américains ont pu découvrir le film sur grand-écran tandis que nous (le reste du monde) sommes contraints de découvrir le film via Netflix. Ce qui signifie regarder sur ton écran d’Iphone 5, un film tourné en 4K.
Vous l’aurez compris, la frustration est immense. D’autant plus que la réalisation s’évertue à montrer de vastes plaines, bayous et plages en cinémascope. Ce choix est regrettable puisque à contrario de l’esbroufe The Cloverfield Paradox, le film bénéficie d’un travail plastique renversant. Une preuve de plus de la frilosité des majeurs à proposer un cinéma audacieux et différent. Car Annihilation ne trouve que peu d’équivalents.
Les talents scénaristiques d’Alex Garland ne sont plus à prouver. Extrêmement pointilleux concernant la construction de ses personnages, c’est grâce à une maîtrise du flashback qu’il tient son spectateur en haleine. L’exposition, aussi concise soit-elle, contient tous les éléments qui seront ensuite développés dans le film.
Plus globalement, la structure du scénario manque d’épique. Le premier et le second acte laissent supposer un climax tout en monstruosité. Les différentes références (The Thing et Aliens pour ne citer qu’eux) aiguillent vers un combat final face à une créature inimaginable. Pourtant, le final rompt avec cette grammaire pour se développer de manière plus poétique et métaphysique. Un contraste très net opère. Une distance trop éloignée pour nous permettre d’apprécier la conclusion complètement hallucinogène. Pour autant, la petite ballade que s’offre le groupe mené par Jennifer Jason Leigh, toujours aussi parfaite, offre des moments de bravoures et d’horreurs captivants.
L’escouade manque elle aussi d’une réelle identité. Si l’idée d’un quintet féminin réjouit, les archétypes eux restent conventionnels. Egalement, les interactions entre chacune se contentent du minimum. Cette fine couche de background n’est souvent qu’un prétexte pour en apprendre plus sur Lena ou donner raison à la morale du film.
On attend patiemment la première victime, en ayant à l’avance lu dans les pensées de l’auteur. On sait qui va mourir et qui va rester. Avoir évincé l’idée d’un protagoniste pluriel soustrait au film une couche d’ambiance supplémentaire. Pourtant, Garland parvient à maîtriser son atmosphère grâce à une réalisation exemplaire.
Ces petits manques d’inspiration sont compensés par le jeu des actrices. Garland, en plus d’être un excellent conteur, dirige ses comédiennes avec brio. Chacune offre une performance excellente dans des registres pourtant difficiles. L’exigence et la puissances des interprétations parviennent à donner un souffle supplémentaire à un script déjà puissant.
Le casting féminin est bien évidemment grandiose. Leurs interprétatiosn sont brillantes malgré un écart clair avec leur registre de prédilection. Quant au cast masculin, Oscar Isaac surprend avec son interprétation froide et strict.
La photographie sert le récit avec beaucoup d’exemplarité. L’ambiance du marais est totalement réussie grâce à une lumière diffuse ciselée. On retiendra bien évidemment tout le dernier tiers, totalement immersif. Ainsi, l’utilisation répétée de plans d’ensemble place le spectateur au cœur d’un songe. A la fois hermétique et chaleureux. Fondateur et destructeur. Sans oublier, quelques plans ingénieux qui donnent de la matière à l’idée directrice. Enfin, Annihilation peut se targuer de plusieurs images folles. Des visuels et des matières psychédéliques qui puisent dans nos peurs les plus profondes. Affublé d’une bande-son expérimentale dérangeante et profonde, le film ne s’interdit aucune excentricité.
Annihilation est une réussite. Son visionnage sur grand écran aurait gagné à amplifier son voyage psychédélique. Cependant, le film verse à plusieurs reprises dans des facilités d’écriture. Malgré la puissance de son message et l’acharnement de son auteur à nous offrir un torrent de pistes pour y songer, on détecte une pointe d’hésitation. Garland, abreuvé au cinéma de James Cameron mais aussi à celui de Tarkovski ne sait lequel choisir. On se retrouve entre deux mondes. Deux vibrations qui ne demandent qu’à s’aligner.