Vu en avant-première au Cinéma Comoedia
Trois ans après l’immense succès public et critique de Fatima (César du meilleur film, Prix Louis-Delluc…), Philippe Faucon, imperturbable, poursuit son chemin avec ce portrait d’Amin, travailleur immigré sénégalais. Critique.
Résumé : Amin est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer.
Aïcha ne voit son mari qu’une à deux fois par an, pour une ou deux semaines, parfois un mois. Elle accepte cette situation comme une nécessité de fait : l’argent qu’Amin envoie au Sénégal fait vivre plusieurs personnes.
Sans jamais réduire ses personnages à des archétypes systémiques, Philippe Faucon a toujours su proposer un regard intéressant sur la vie de ceux qui sont si souvent circonscrits à une question : l’immigration, le racisme, la montée de l’islamisme…
Bien éloigné de toute démarche démonstratrice ou, au contraire, de toute vision anthropologique dénuée de sentimentalisme, Philippe Faucon dépeint avec une acuité peu commune la vie des gens qu’on ne veut pas voir.
Quand Fatima, travailleuse de la première vague d’immigration maghrébine se tuait au travail, au sens propre comme au sens figuré du terme, pour offrir un destin à ses enfants nés en France, Amin ( excellent Moustapha Mbengue) semble moins subir son destin. Il peut être vu comme la face contemporaine de l’immigration de travail. C’est un premier constat : Amin propose le portrait d’un homme organisé, ne subissant pas sa vie au travail, bien qu’il choisisse délibérément de faire des heures supplémentaires pour finir un chantier. Plus surprenant, Amin semble subir sa vie de famille. Celle de sa femme et de ses enfants restés au pays dont les attentes lui pèsent plus qu’il ne le croit.
Là encore, le film déploie une ingéniosité intéressante pour décrire la manière dont les mesquineries et les petits mensonges ne sont pas plus faciles à tenir au quotidien ou à plusieurs milliers de kilomètres de distance.
L’autre point fort de ce film réside dans la relation toute en douceur se nouant entre Gabrielle (formidable Emmanuelle Devos) et Amin. La simplicité avec laquelle se noue leur idylle n’est rendue possible que par l’absence : celle des êtres chers, des proches et des carcans d’une société codifiée, qu’elle soit occidentale ou traditionnelle. De part et d’autre de la Méditerranée, c’est le même défi qui semble attendre Gabrielle et Amin dans la construction d’une deuxième vie.
En écho au personnage de Gabrielle, Aïcha semble également guidée par la même force intérieure. D’ailleurs, ces deux femmes courageuses fonctionnent en quelque sorte sur les mêmes ressorts psychologiques : l’une cherchant à préserver sa fille tout en vivant pleinement sa vie de femme, l’autre conservant une exigence aiguë envers son mari sans pour autant être dupe de ce qui se trame de l’autre côté de la Méditerranée.
Philippe Faucon raconte, bien sûr, toujours la même histoire, celle des déracinés. C’est d’ailleurs un peu sa propre histoire, celle d’un enfant de pied noir ayant vécu les derniers instants de l’ « Algérie française ». Mais peu importe.
En creux, le message politique est évident mais, contrairement à la plupart des cinéastes dits « sociaux » ou « politiques », Philippe Faucon se pose toujours des questions de cinéma pour l’aborder. Il met constamment l’histoire et les personnages au centre de son dispositif.
Tout comme Fatima, qui apparaît brièvement lors d’une scène symbolique dans la file d’attente de la banque de mandats cash, Amin poursuit son rêve d’une vie meilleure où les conditions d’exploitation des travailleurs semblent jouer un rôle central. Si ce dernier semble avoir la capacité physique et spirituelle de s’en sortir, ce film nous montre sans pour autant être dans la démonstration que ce n’est malheureusement pas le cas de tous les coéquipiers.
Tout comme au 19ème siècle, la classe ouvrière « s’exécute » en accomplissant ses tâches quitte à y laisser sa peau. N’est-ce pas là la description d’un esclavagisme moderne ?