Gore Verbinski a un parcours des plus atypiques. Après deux films de commande, « La Souris » et « Le Mexicain », il est choisi pour réaliser le remake de Ringu, le film culte d’Hideo Nakata. Conforté par le succès du film, à la photographie impeccable et aux scènes horrifiques efficaces, l’ex-publicitaire est engagé par Disney pour diriger l’équipage des Pirates des Caraïbes. Franchise phare des années 2000, son style visuel a façonné le blockbuster moderne. Jouissant dorénavant d’une liberté totale sur ses projets, il réalise Rango. Une fable hystérique sur fond de Western Spaghetti (genre chéri par le réalisateur). Le film remporte l’Oscar du meilleur film d’animation en 2012. Lancé dans sa chevauchée fantastique, il réalise l’adaptation de la série The Lone Ranger. Bien qu’efficace dans ses scènes d’actions, le film est un semi-échec au box-office, remboursant péniblement ses 215 millions de dollars de budget. A Cure For Life semble marquer un tournant dans la carrière de Verbinski. Moins bankable pour les productions pharaoniques de Disney, il retourne ici à ses racines horrifiques. Une petite cure avant de repartir, peut-être, sur le chemin des blockbusters.
Lockhart, interprété par Dane Dehaan, est un jeune trader new-yorkais absorbé par son travail. Une coquille vide, vivant entre son téléphone et son ordinateur. Son quotidien morose se voit bouleversé lorsqu’on le missionne pour retrouver un employé de sa compagnie. Ce dernier est parti se ressourcer dans une étrange cure miracle en Suisse.
Un Cœur Malade
Dans la pure tradition des thrillers horrifiques des années 60-70 tel The Wicker Man, Lockhart (Un nom, vous l’aurez compris, formant le jeu de mot tarte à la crème sur les bords Lock Heart) se retrouve captif du sanatorium à cause d’une jambe cassée. Une astuce de scénario qui peut paraître facile au demeurant, hors, elle sert brillamment le film. En effet, ce statisme conduit Lockhart à replonger dans son passé. Malheureusement, ses introspections dépeignent des blessures partagées par beaucoup trop de héros du genre. Par conséquent, nous ne sommes pas touchés par son histoire et l’identification devient difficile. Au contraire, ces flashbacks servent, d’une manière rustre, à élaguer les possibilités d’échappatoire.
Ce manque d’attachement au personnage principal est cependant contrebalancé par le statut de guide qu’il acquiert peu à peu durant le métrage. Il devient en quelque sorte notre avatar lorsque nous nous immergeons dans cet étrange hôpital. Un côté enfantin se dégage même de l’interprétation de Dehaan. Toujours dans l’inattendu, on guette, puis on craint l’ouverture d’une porte en imaginant ce qu’elle peut renfermer. Ces moments de suspens sont parfaitement maîtrisés.
La Clinique de la Forêt Noire
Le scénariste Justin Hayte (auteur du scénario de Lone Ranger) a le sadisme de placer uniquement Lockhart de notre côté. Tous les autres personnages, embrigadés par la cure, sont hermétiques à ses appels à l’aide. Un choix qui se traduit par un sur-jeu de la part des comédiens incarnant les patients. Un décalage qui peut paraître décevant, pourtant il est nécessaire.
En effet, sur la longueur, les personnages ont un comportement qui peut sembler hypocrite, ce qui les rend terriblement agaçants. Une frustration germe alors en nous, car la vérité est sous nos yeux mais personne ne l’accepte. Cette écriture, impliquant totalement le spectateur, porte ses fruits tant le soulagement est immense une fois qu’un des pensionnaire décide d' »ouvrir les yeux ». Pourtant, là aussi les alliés du trader ne parviennent pas à transcender leur archétype. La plupart du temps, ils servent l’action en apportant un objet ou un indice et disparaissent aussitôt. Un déficit de caractérisation des personnages qui aurait parfaitement pu être comblé au regard du rythme lent du film.
Cette lenteur sert, en contrepartie, à transmettre l’inquiétante sérénité qui règne entre les murs de l’hôpital. Ce calme est décrété par le directeur de la cure, Volmer, interprété par Jason Isaacs qui réutilise un jeu comparable à celui de Lucius Malfoy, la perruque blonde en moins. Pour compléter le cast, Mia Goth campe l’un des seuls rôles féminins du film, Hannah. Semblant avoir été écrit pour un film de Tim Burton, ce personnage s’avère mal intégré au récit et n’a pas d’évolution marquante tout au long de l’histoire. Conséquence : en fin de métrage, une fois son secret révélé, on ne ressent pas une entière satisfaction.
Retour aux sources
En termes d’esthétisme, les amateurs d’horreur vintage seront rassasiés. La liste des inspirations est longue et si l’on doit résumer la direction artistique, on se retrouve à mi-chemin entre les décors baroques de Suspiria et l’ambiance suintante de Seven.
La clinique est un décor formidablement exploité. Le mariage entre un univers industriel composé d’éléments métalliques irritants et de couloirs marbrés glaçant est impressionnant. Ce décor, Verbinski le filme avec beaucoup de précision. Tout les mouvements d’appareils sont étudiés, chaque placement millimétré pour être en synchronisation avec le personnage de Dehaan. Sa jambe dans le plâtre permet à Verbinski d’ajouter un handicap et complexifie certains mouvements de caméra : cela se ressent notamment dans ses travellings, par exemple lors des scènes de poursuites avec les gardiens. En contraste, les panoramiques sont d’une fluidité incomparable. La caméra devient alors une prolongation du corps de Lockhart.
Frayeurs
De même, la photographie est superbe. Très liquide, elle donne un sentiment d’étouffement dans chaque pièce de la clinique. Le montage, grâce à la rigueur du sound design, est d’une efficacité machiavélique. Verbinski souhaitant donner une crédibilité supplémentaire au film, beaucoup des sons furent enregistrés sur le plateau. Ainsi, on peut entre autre saluer tout le travail crée à partir du bruit de la béquille de Lockhart. Une idée basique mais terriblement angoissante. Véritable idée de mise en scène, le réalisateur en propose plusieurs variantes plutôt angoissantes.
Enfin, et c’est l’intérêt majeur du film, les scènes horrifiques sont très brutales. Même si le film n’est pas sanglant, elles sont conçues comme des visions cauchemardesques. A la manière d’un Lucio Fulci, le réalisateur de Rango nous torture de moneyshots sinistres sans aucune limite. Choix audacieux : ces scènes durent longtemps, en plan fixe et laissent le spectateur pendant de longues secondes en souffrance avec le personnage. Néanmoins, le résultat ne parvient pas toujours à convaincre : en particulier l’une de ces scènes, débordante de grand-guignolesque, construite en montage alterné (on en perd rapidement le fil).
A Cure For Life est une sympathique étrangeté. Une proposition neuve et intrigante qui met en place un univers visuel cohérent de la première à la dernière seconde. Même si le scénario peut paraître maladroit et manque parfois de délicatesse, on reste sur une note positive tant le savoir faire de Verbinski est grand.