Fin mai, l’acteur américain Joaquin Phoenix reçoit le prix d’interprétation masculine à Cannes, en baskets. Il était alors loin de penser qu’il pouvait recevoir un prix pour sa performance. Le festival lui a prouvé le contraire en nous offrant une scène cocasse où l’acteurs peine à réaliser que son nom vient d’être appelé. Connu pour choisir des rôles hétéroclites, de Gladiator à Her, Joaquin Phoenix interprète dans A Beautiful Day un ancien marine, transformé en mutique et imposant homme de main. C’est Lynne Ramsay qui réalise l’adaptation du recueil de nouvelles de Jonathan Ames, You Were Never Really Here. Actrice du cinéma indépendant britannique, elle obtient pour son quatrième et dernier film, sans le démériter, le prix du Scénario et du meilleur acteur. Critique.
L’enfant d’un homme politique disparaît, Joe (Joaquin Phoenix) est appelé afin de la retrouver en toute discrétion. Le vétéran de guerre va se retrouver dans une histoire de vengeance et de corruption.
Soyons clairs : l’interprétation de Joaquin Phoenix est extraordinaire, elle confirme sa capacité à incarner des personnages forts. Contrairement à beaucoup d’acteurs, à qui les même types de rôles sont proposés à tort et à travers, il conquiert des rôles diamétralement opposés. En choisissant de tourner dans ce film indépendant, il se donne corps et âme et fait tout pour devenir méconnaissable. Il ne s’agit pas d’Actor Studio, mais bien d’un travail sincère, qui donne à ce personnage, une énergie dévastatrice qui se dévoile uniquement par le regard. Lynne Ramsay choisit l’économie de mots, et propose un discours du montage et du regard. Elle n’hésite pas à rendre des scènes confuses, en mélangeant pistes sonores et images sans liens concrets, pour rendre palpable la psyché du personnage. Étonnamment, cela peut être nuisible au film, car elle peut donner à certaines scènes une opacité dommageable.
Le film capture le personnage, et finit par en faire son prisonnier, sa victime. Nous assistons alors à un dialogue intéressant entre la forme et le personnage. La photographie est finement maîtrisée : tout en proposant une certaine mélancolie grâce à une abondance de lumières bleues et vertes, le travail sur l’obscurité à la caméra est d’une efficacité remarquable. Le rendu permet de mettre en valeur la singularité du personnage.
L’ensemble de ses caractéristiques donnent au film une atmosphère fantomatique. Joe déteint sur son environnement et obtient un modèle d’expression visuelle adéquat à ses névroses.
La bande originale puise dans l’électro, convenant parfaitement à l’atmosphère du film. Hélas, son efficacité se retrouve diminuée par l’utilisation d’instruments à cordes, permettant certes de souligner la tension dramatique, mais faisant retomber l’ambiance dans un registre plus classique. Le changement de genre crée une certaine rupture, et peut déplaire. Néanmoins, il est aussi important de souligner que le film de Lynne Ramsay est débordant d’inventivité narrative et visuelle. On a comparé ce film à Taxi Driver de Martin Scorsese et Drive de Nicolas Winding Refn, un peu à tort, car les inspirations de la réalisatrice sont en réalité plus subtiles, et bien plus personnelles.
Avec une interprétation brillante, Joaquin Phoenix illumine le film de la britannique Lynne Ramsay qui a su tirer de l’acteur une énergie débordante. C’est une explosion de saveurs, il nous surprend une nouvelle fois : A beautiful Day ne démérite pas sa place, et risque de créer la surprise à sa sortie.