La licence James Bond est symptomatique de ce qui se trame à Hollywood aujourd’hui : de très bonnes intentions mais un manque cruel de prise de risque. Et, surtout, il semblerait que les décideurs aient oublié un petit détail : une licence, c’est aussi et surtout une succession de plusieurs…FILMS. 007 SPECTRE n’est pas tout à fait un long-métrage, mais plutôt une superbe et très longue scène d’exposition sensée donner un nouvel élan à la licence après le sublime Skyfall – qui lui-même aurait dû boucler un cycle. Critique.
Tisser des liens
Il faut bien le reconnaître, le succès critique et populaire de Skyfall a dû donner des migraines à Sam Mendes et à ses équipes. Comment faire aussi bien ? Comment relancer la machine alors qu’un cycle a été fermé ? Et surtout, comment s’inscrire dans la continuité des reboots (Casino Royal, Quantum of Solace et Skyfall), notamment sur le plan de l’écriture des personnages, avec un James Bond plus sombre et des ennemis plus subtiles, sans oublier l’objectif principal de ces mêmes reboots : relancer la licence sans pour autant la trahir ? Et bien, c’était tout simplement impossible ! La nouvelle trilogie James Bond a tellement bien réussi sa mission de relancer la licence, qu’elle a fini par créer une nouvelle mythologie. Résultat : il était quasiment impossible de renouer les liens avec les anciens films et retrouver l’innocence cool et décontractée du James Bond passé sans que cela ne fasse tâche. Non, nous avions affaire à deux visions incompatibles d’une même licence.
Du coup, toutes les tentatives des scénaristes de retisser artificiellement des liens entre les trois précédents films et 007 SPECTRE s’avèrent totalement artificielles : le Chiffre, M. White et Raoul Silva seraient en fait tous les maillons d’une société secrète qui n’est autre que SPECTRE (Service pour l’espionnage, le contre-espionnage, le terrorisme, la rétorsion et l’extorsion), la fameuse organisation criminelle fictive secrète et internationale fondée par Ernst Stavro Blofeld dans les romans et films de James Bond.
Aparté : SPECTRE pour les Nuls :
Au cinéma, le SPECTRE tire les ficelles dans James Bond 007 contre Dr. No et Bons baisers de Russie. L’organisation est ensuite le principal ennemi de James Bond dans Opération Tonnerre, On ne vit que deux fois, Au service secret de Sa Majesté, Les Diamants sont éternels et Jamais plus jamais.
Dans les films, il apparaît que le SPECTRE, en plus de la recherche du profit, a pour but la domination du monde après avoir affaibli les deux superpuissances de l’époque : l’URSS et les États-Unis.
À l’exception d’Auric Goldfinger et de ses hommes, tous les ennemis de Bond de la première époque (Sean Connery et George Lazenby) sont membres de cette organisation.
Blofeld, bien que n’étant pas explicitement nommé, fait une dernière apparition en fauteuil roulant dans le pré générique de Rien que pour vos yeux, où il essaie d’éliminer James Bond à l’aide d’un hélicoptère télécommandé, avant d’être enfin tué par celui-ci dans une chute sans retour…

Mythologie autour d’un soufflé
Pour en revenir à notre problème d’incompatibilité de style et d’écriture entre les deux sagas, cela se corse surtout quand il faut ré-introduire le grand manitou derrière cette machination mondiale. Je parle évidemment de Blofeld (joué naguère par le génial Donald Pleasence aka Dr Loomis dans Halloween et le père Loomis dans Le Prince des ténèbres de John Carpenter, Professeur John McGregor dans Phenomena de Dario Argento et j’en passe…). Parce que autant Christoph Waltz est un acteur très sympathique dans les films de Tarantino, autant la plupart du temps il se plante complètement… Mais à la limite, le problème ne vient pas forcément de son jeu outré mais, encore une fois, de l’écriture. Pourquoi s’entêter à nous faire avaler que Blofeld est derrière toutes les péripéties passées de James Bond (je parle uniquement de la nouvelle saga avec Daniel Craig) alors que manifestement les auteurs n’avaient jamais anticipé la question dans les trois précédents films : on ne voit jamais ne serait-ce qu’une incise sur ce personnage manigançant dans l’ombre tout cela dans les trois autres films ! Cela aurait été tellement plus classe et, surtout, plus convainquant au moment de la confrontation entre les deux personnages ! Parce que là, excusez-moi, mais cela arrive comme un cheveu sur la soupe…
Si Sam Mendes tente tant bien que mal d’iconiser l’apparition de son personnage dans une scène remarquable d’intensité : la scène de réunion secrète avec tous les cadres de SPECTRE à Rome. On se dit intérieurement qu’on s’en moque un peu puisque, premièrement, on n’est pas sensé connaître le background autour du personnage (si on met de côté la saga originelle) et, deuxièmement, il n’a jamais été fait référence à celui-ci ni à son organisation (encore une fois, l’insertion du logo de SPECTRE dans un des trois autres films aurait été super classe) dans les autres films.
Ainsi, quand vient le moment des révélations, tout ceci s’effondre comme un château de cartes et nous fait sortir de l’histoire – si cela n’avait pas déjà été le cas durant les longues séquences inutiles au Maroc. À quoi bon prendre le temps d’iconiser un personnage, si sa puissance ne provient que de ses actions passées. C’est un non-sens narratif digne des plus grands ratés du cinéma. En effet, pour souligner l’absurdité de la situation je résumerai le discours de Blofeld en ces termes : « James, tous tes malheurs, la mort de toutes les femmes que tu as aimées… bah c’est à cause de moi en fait ! Ah ah ah ! » Oui, bien excusez-moi, mais cela ne marche pas ainsi. Ce serait plutôt :
1: Je présente le danger, même en ne faisant que l’esquisser (c’est encore mieux même) et je montre à quel point il est fort et puissant ;
2: Je fais en sorte que le héros pourchasse l’ennemi en vain et lutte contre lui et son équipe ;
3: J’organise la rencontre tant attendue entre les 2 personnages iconisés par leurs actes et non par la mise en scène !
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple des clins d’oeils faits aux fans de la saga originelle : le chat de Blofeld, la manière dont celui-ci devient borgne, le pré-générique à Mexico dans l’hélicoptère faisant référence à la mort de Blofeld dans Rien que pour vos yeux et sûrement d’autres choses que je n’ai pas relevées… Ce fanservice est bien sympathique, mais à part faire plaisir, il ne sert à rien et finit par nous interroger sur le bienfait d’avoir réalisé un reboot : pourquoi avoir si subtilement réinterprété le personnage de James Bond pour finalement réutiliser les ficelles passées ? Le tout sans réellement apporter quelque chose de nouveau.
Il faut tout de même préciser que Sam Mendes n’a pas perdu son savoir-faire : le pré-générique à Mexico est absolument extraordinaire : un long plan-séquence très élégant donnant, pour la première fois, l’illusion du réel. Très impressionnant. Par ailleurs, Daniel Craig est toujours aussi bon, mais il ne parvient pas totalement à convaincre hésitant sans cesse entre la gravité post-Skyfall et la nouvelle orientation de son rôle renouant avec la coolitude passée. Les actrices sont correctes : Léa Seydoux fait ce qu’elle peut avec un rôle extrêmement stéréotypé, tandis que Monica Bellucci n’a que 1 scène et demi et 5 minutes pour convaincre… Petit big up à Ralph Fiennes qui remplace avec talent Judi Dench dans le rôle de M en lui apportant une nouvelle dimension plus action-movie.
Pour conclure, ce film ouvre donc une nouvelle ère, renouant avec la saga originelle. Du coup, ce film ressemble davantage à une longue scène d’exposition de 2h30 présentant les personnages sans réussir à convaincre du bienfondé du nouveau positionnement choisi. Un résultat mitigé…