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Note de la rédaction :

Victoria est un film dramatique allemand réalisé par Sebastian Schipper, sorti en 2015. C’est également le phénomène de cette année !  Pourquoi ? Je dirais tout simplement et en toute sobriété : PLAN-SÉQUENCE du siècle. Critique.

Synopsis

Victoria est une jeune espagnole vivant à Berlin depuis peu. En sortant de boîte de nuit, elle rencontre quatre Berlinois : Sonne, Boxer, Blinker et Fuß. Tous les cinq partent alors en vadrouille dans les rues berlinoises. S’en suit une aventure inattendu et mouvementée…

(R)évolution technique

Victoria reçoit l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique lors du 65e Festival international du film de Berlin (2015) et il remporte six récompenses lors des Deutscher Filmpreis : meilleur film, meilleure réalisation, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleure photographie et meilleure musique. C’est le phénomène allemand de cette année, mais c’est aussi et surtout un exploit technique et artistique unique en son genre dans l’histoire du cinéma puisqu’il réussi à faire un véritable plan-séquence de 2h20 en extérieur ! Mieux que La Corde d’Alfred Hitchcock (1948) et mieux que L’Arche russe d’Alexandre Sokourov (2002).

Pourquoi mieux que ces 2 légendes du cinéma ? Tout simplement car Sebastian Schipper (acteur-réalisateur de 48 ans, peu connu en France mais qui a visiblement réalisé 4 longs-métrages et tourné dans de nombreux films dont Le Patient anglais) parvient à réaliser un tour de force technique que ni Hitchcock ni Sokourov ne sont parvenus à faire.

Le premier, car la pellicule utilisé à l’époque ne permettait pas de tourner plus de 10 minutes. Hitchcock a dû « tricher » en effectuant 8 subtiles raccords et 11 plans au total (je vous laisse calculer 😉 ).

Le deuxième, car L’Arche russe est bien un unique plan-séquence d’1h30 (prouesse technique rendue possible grâce au développement de la vidéo numérique haute définition au début des années 2000, où l’image peut être enregistrée directement sur disque dur, repoussant les contraintes du tournage sur pellicule), mais le film est entièrement tourné dans le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, ce qui facilite la maîtrise des aspects techniques liés à la lumière, aux mouvements de caméra et à la direction des acteurs.

Ainsi, Victoria est en premier lieu une prouesse technique. Je vous laisse en juger : il est donc tourné entièrement en 1 seul plan-séquence de 2h20, le tout en extérieur et de nuit, dans des décors comprenant ni plus ni moins qu’une boîte de nuit bondée, des rues de Berlin, un ascenseur exigu, un toit-terrasse, un café, un hôtel de luxe, une voiture, avec bien entendu ce qu’il faut de miroirs, de mouvements de caméra et d’action ! N’en jetez plus, nous avons affaire à un exploit !

Alors, bien entendu, plus de 2h de plan-séquence, cela fatigue un peu… Il y a quelques moments creux dans le film, mais ceux-ci sont balayés par l’énergie des acteurs et surtout le savoir-faire technique du réalisateur. Sebastian Schipper parvient à enchaîner les séquences en utilisant brillamment sa caméra : lors des moments de transitions où les personnages ne font que se déplacer d’une scène à une autre, il n’hésite pas à les filmer de loin tandis qu’une musique planante prend le relais. Dans les scènes de dialogues, il utilise également à merveille le flou sur les visages pour servir de transition, dans ce qui aurait dû être un champ/contrechamp classique dans une scène de cinéma lambda.

Pour conclure sur ces aspects techniques, vous vous demandez sûrement comment Sebastian Schipper est parvenu à faire un tel exploit ? Figurez-vous qu’il a tourné 3 prises en 3 jours (à mon avis c’est une bonne idée, car au bout d’une prise ni les acteurs, ni l’équipe technique auraient accepté de recommencer…) et il a gardé la plus réussi des 3 prises. Incroyable…

Cinéma vérité

Ok, je vous entends déjà dire dans votre barbe : « le cinéma ce n’est pas que de la technique… ». Vous avez raison : le cinéma ne devrait jamais servir uniquement à prouver la virtuosité d’un réalisateur (je ne vise personne hein 😉 ). Mais, justement, c’est là où le film parvient à nous cueillir. Sebastian Schipper se sert du plan-séquence pour raconter son histoire et illustrer la fragilité de la vie. En l’espace de 2h, on passe d’une histoire somme toute assez banale d’une jeune expatriée souhaitant s’amuser et découvrir la vie locale, à une sombre histoire que je ne vous spoilerai pas.

Ah oui, un conseil : ne lisez surtout pas la plupart des critiques sorties, qui racontent éhontément la totalité de l’histoire, ce qui ne me dérange pas la plupart du temps, mais dans ce cas précis, détruit tout le processus narratif.

En effet, le film est extrêmement réaliste et le plan-séquence sert ce réalisme qui s’avérera très cruel a postériori. Cette fin vous cueillera de façon brutale et vous fera réaliser à quel point le cinéma peut parfois décrire la réalité mieux que la plupart des journaux TV…

L’urgence de la jeunesse n’a que rarement été aussi bien décrite que dans ce film : la volonté de vivre intensément, le manque de recul sur les choses (à aucun moment Victoria ne se posera pour se dire : « non mais je fais quoi là ? »), l’humour, la volonté de vivre sans barrière, ce sentiment de liberté frisant parfois l’inconscience…

Et en sortant du cinéma, on se prend soudain en pleine figure cette intuition amère qui ne nous quittera plus pendant des heures : cette jeunesse décrite n’est-elle pas celle qui est sacrifiée par nos dirigeants européens ? Cette jeune espagnole expatriée en Allemagne, travaillant pour 4 euros de l’heure dans un café plutôt haut de gamme, n’est-elle pas le reflet de cette jeunesse européenne qui ne croît plus assez en son avenir pour se soucier de son présent ? Victoria au talent immense (une scène touchante nous la montre jouant au piano de façon incroyable) va-t-elle pouvoir exhausser ses rêves ou est-ce déjà trop tard ?

Pour conclure, on ne peut que vous inciter fortement à aller voir Victoria, ne serait-ce que pour voir de vos propres yeux ce moment de bravoure incroyable, servi par des acteurs improvisant sans cesse avec une fougue touchante.

16
note globale
Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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