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Question de Style : Qu’est-ce que le Classicisme au cinéma ?

By 3 décembre 2015mars 30th, 2021Gros plan, Style(s)
style - le classicisme au cinéma

“Quand les faits se sont transformés en légende, publiez la légende.”

John Ford

Tout d’abord, oubliez tout ce que vous savez du classicisme au regard de votre culture littéraire ou artistique. Historiquement, le cinéma est avant tout une industrie et s’inscrit, en tant que tel, dans une logique bien plus commerciale que artistique. Analyse.

Déjà une première mise en garde : pour moi, le classicisme est un style directement hérité du cinéma hollywoodien : il s’inscrit dans une histoire des modes de production du cinéma populaire à grande échelle des années 1920 aux années 1950. Donc ne soyez pas offusqués si je n’évoque pas les cas particuliers du cinéma européen ou d’autres pays.

Le processus de production des films – en particulier à Hollywood – repose sur un système économique empirique et bien rôdé. Entre les années 1920 et les années 1950, soit grosso modo ce que l’on a appelé l’Âge d’or d’Hollywood, le cinéma attire plus de cent millions de spectateurs par semaine ! À cette époque, le cinéma est carrément la cinquième source de revenus des États-Unis. Par conséquent, très rapidement, de grands groupes industriels (les Majors, au nombre de huit : Columbia, 20th Century Fox Film Corporation, Warner Bros. Pictures, Paramount Pictures, Universal Pictures, Metro-Goldwyn-Mayer, United Artists, RKO Radio Pictures) se sont accaparés ce marché. Rien n’était laissé au hasard pour être sûr d’attirer un maximum de public.

Ces grands groupes ont alors défini des styles et, surtout, des règles à respecter dans chacune de leurs productions (rien à voir avec le Code Hays, édicté en 1934 et qui demeurera en vigueur jusqu’en 1966, qui était sensé combler un vide juridique et se prémunir contre la censure). Chaque Major met en place des départements pour chaque étape de production : de l’écriture du scénario jusqu’à la diffusion. Dans cet univers bien structuré, la personne clé est le producteur. Le réalisateur, lui, n’intervient que lors du tournage et a rarement le dernier mot.

Tout cela pour dire que le classicisme est avant tout hérité d’un mode de production des films hollywoodiens : de l’idée au spectateur – le tout dans une seule (et unique) optique : satisfaire le consommateur. Car, oui, désolé de vous décevoir, le cinéma hollywoodien est un produit de consommation.

Dans ce contexte, une chose est acquise : le cinéma de genre devient le format roi. Pour une raison simple : il est facile à produire (et surtout) à reproduire à merci. En effet, le cinéma hollywoodien s’inscrit dans une logique de reproductibilité mais également de différenciation. L’utilisation du genre permet au spectateur de comprendre rapidement à quoi il a affaire : western, gangster, romantique…

Par ailleurs, suivant cette logique de reproduction pour faire des économies d’échelle et de réflexion, chaque Major finit par se spécialiser dans un genre :

  • Warner produit plutôt des films de gangster et des films sociaux ;
  • Universal des films fantastiques ou d’épouvante ;
  • Paramount des westerns.
Le Solitaire - Michael Mann
Le Solitaire – Michael Mann (1981)

Le cinéma hollywoodien atteint son apogée dans les années 1940 sur les bases de ces trois piliers :

  1. La domination du cinéma de genre ;
  2. Une organisation du travail pyramidale avec au sommet le producteur et des départements spécialisés ;
  3. Un style caractéristique que nous allons décrire : le classicisme.

Le classicisme, c’est quoi ?

Tout d’abord, je préfère tout de même préciser que mon but n’est pas de circonscrire le cinéma dans des cases et vous asséner des vérités générales floues ou, au contraire, trop strictes. Hormis ce que je vous disais sur l’industrie du cinéma hollywoodien, qui sont des faits historiques, je tiens tout de même à modérer mon propos sur un point : si les Majors ont toujours mis un point d’honneur à contrôler leurs productions jusqu’au milieu des années 1960 et même au-delà, les plus grands auteurs-réalisateurs ont toujours su, au sein de ce moule plus ou moins rigide, court-circuiter ce système en proposant une vision personnelle. C’est le cas des plus grands : John Ford, Howard Hawks, Alfred HitchcockJohn Huston et tant d’autres.

Passé ces avertissements, on peut essayer de décrire le style « classique » mis en place par les Majors. Il se caractérise par une série de conventions valorisant une mise en scène sobre (presque invisible) et un montage qui ne se remarque pas. Le tout pour que l’histoire et la caractérisation des personnages prennent le pas sur le style de l’auteur. Si l’on devait trouver une définition simple du classicisme, ce serait cela : privilégier la narration au détriment des effets de style. Pour ma part, je dirais qu’il faut une sacrée dose d’humilité de la part du réalisateur pour y parvenir.

Quel est l’objectif de cette « humilité » supposée ? (Car tout le monde sait très bien qu’un auteur n’est jamais humble innocemment 😉 ). C’est simple, par cet artifice (car oui, être sobre est un choix, c’est donc un artifice), le réalisateur souhaite privilégier la véracité des personnages et des situations décrites au service du spectateur. En entrant dans la salle de cinéma, ce dernier a, pour ainsi dire, signé un contrat tacite avec le réalisateur : l’objectif est de retrouver un schéma de narration familier, tout en se laissant emporter par l’histoire.

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Mad Max Fury Road – George Miller (2015)

Mais, est-ce à dire que le classicisme est un style de cinéma plan plan et ennuyeux ? Bien au contraire ! Pour ma part, je trouve que ce cinéma est l’un des plus pertinents qu’il soit car il a compris une chose simple que je me tue à dire à longueur de critiques : le cinéma, ce sont des images en mouvement qui permettent à un auteur de raconter une histoire. Rien de plus, mais rien de moins ! Et, je peux vous garantir que c’est compliqué de raconter une histoire à la fois « entrant dans un schéma de narration classique » (pour rassurer le spectateur – le grand public) comme dirait Umberto Eco et suffisamment pertinente pour être passionnante, comme le cinéma l’exige.

Attention : c’est très risqué de faire un film au classicisme assumé, car s’il n’est pas maîtrisé par le réalisateur, ce style confine à l’académisme : c’est la critique qu’ont fait les jeunes loups de la Nouvelle Vague française (François Truffaut et Jean-Luc Godard en tête) à tout un pan, dominateur à l’époque, du cinéma français des années 1950. Pour être tout à fait honnête, il s’agissait surtout pour eux de se faire remarquer en critiquant de glorieux aînés… Il suffit de regarder objectivement les meilleurs films de Julien Duvivier, de H-G ClouzotClaude Autant Lara, Henri Decoin, etc., traités à l’époque avec mépris : ce que la Nouvelle Vague nommait avec dédain la Qualité française. Il y avait un brin d’opportunisme et de mauvaise foi de leur part…

Aujourd’hui, le classicisme est plus vivant que jamais. En témoignent les films de Michael Mann (Le Solitaire en est un exemple brillant, mais regardez également le sublime Hacker), Clint Eastwood (Impitoyable, Sur la Route de Madison, American Sniper), J-C Chandor (le génial A Most Violent Year qui pourrait figurer en tête de mes films préférés de l’année 2015 s’il n’était sorti à la fin de l’année 2014).

Ce sont tous des films inspirés par le courant classique, avec quelque chose en plus : un post-modernisme conscient de l’historicité du cinéma. Certains critiques de cinéma appellent ce courant le post-classicisme. En quelques mots, ce nouveau courant dérivé du classicisme tend à perpétuer la rigueur formelle du classicisme, tout en ayant conscience d’arriver après l’effondrement du cinéma classique : la fin du cinéma, tout comme la fin de l’Histoire, permet de créer un autre cinéma en conservant certains aspects du cinéma classique.

Pour conclure, si l’on voulait exagérer un peu, on dirait que George Miller, lui-même, pratique, en un sens, un cinéma post-classique, notamment dans Mad Max Fury Road. Car comme le disait le maître du classicisme :

“Le meilleur cinéma, c’est celui où l’action est longue et les dialogues brefs…” John Ford

Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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