Tout d’abord, il faut préciser que The Host a été pendant longtemps le plus grand succès domestique de tous les temps du cinéma coréen (sorti en 2006 : il attire à l’époque plus de 16 millions de spectateurs). Cela en dit long sur la typologie du public coréen qui est prêt à se déplacer en masse pour un film de genre complexe et assez violent… Pour ma part, je considère The Host comme l’un des quatre ou cinq plus grands films post-2000 et je vais vous expliquer pourquoi.
Dans The Host, la création du monstre est le point de départ du film. C’est une excellente idée car cela nous plonge dans un drame politique. La genèse de l’histoire est un incident lié à la pollution des eaux du fleuve Han par les Américains. Il fait écho à un incident bien réel qui est survenu en 2000 en Corée. C’est ce que les Coréens appellent l’affaire McFarland. Albert McFarland, un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée aurait ordonné le déversement de formaldéhyde dans le fleuve. Il est condamné à deux ans de suspension et sera mis en liberté sous caution. Le formaldéhyde est un produit extrêmement toxique et cancérigène (en passe d’être interdit dans l’Union Européenne) qui sert parfois à embaumer les corps. C’est dans cette ambiance particulière que démarre le film.
Par la suite, on peut dire qu’un fil rouge autour de la machination politique et des risques écologiques parcourt l’ensemble du film : l’affaire Albert McFarland, bien sûr, puis l’histoire du faux virus, qui est une satyre des fausses armes irakiennes et enfin, le déversement d’un agent jaune dans la scène finale, qui rappelle évidemment l’agent orange utilisé par les Américains pendant la Guerre du Vietnam.
Dans ce contexte, il est évident que Bong Joon-ho a voulu faire de ce film une critique de « l’envahisseur américain » et, de manière générale, des puissants qui nous gouvernent.
Ceci étant, à mon avis, le sel du film se situe plutôt dans la critique sociale de la Corée. Le coeur du film repose sur les épaules de cette famille pauvre, impuissante, à qui personne ne vient en aide. En fait, on peut dire que la société qui les entoure blesse cette famille bien plus fort que le monstre lui-même. Bong Joon-ho décrit tous les obstacles que cette famille subit en proposant une satyre sociale et politique très fine de la Corée contemporaine et des États-Unis : l’indifférence généralisée dans laquelle se retrouve cette famille est remarquablement bien décrite et fera écho à Mother qui sortira trois ans plus tard. La question que l’on se pose durant tout le film est simple : « pourquoi cette famille ne peut-elle être protégée ? ». Bien sûr, la réponse sera cruelle.

Une famille coréenne – The Host (2006)
Après Memories of a Murder, Bong Joon-ho utilise une nouvelle fois le mélange des genres et des sentiments pour faire avancer son récit. Pour se faire, il faut dire qu’il maîtrise à merveille la tradition culturelle coréenne et notamment le concept de « Hee, Lo, Ae, Lak » formé de 4 caractères exprimant 4 sentiments humains : la joie, la colère, la tristesse et le plaisir. D’ailleurs, cela ne vous rappelle rien ? Petit indice : Pixar… Et oui, dans Vice-Versa, Pixar utilise le même procédé, les auteurs ayant juste remplacé le plaisir par la peur. Étrange non ? À moins bien sûr que le plaisir soit un sentiment trop ambigüe quand on parle à des enfants… Dans Memories of a Murder et The Host, ces 4 sentiments coexistent. The Host bénéficie d’un traitement plus fin de ces sentiments : ces derniers s’interpénétrant de façon plus chaotique et ne sont pas représentés par des personnages archétypaux. C’est assez prégnant lorsque le burlesque et la comédie entrent brutalement dans l’histoire par le biais d’un personnage sérieux qui se ridiculise ou lorsque le monstre, maladroit, se prend une gamelle. De même, on passe d’un sentiment à un autre de manière très brutale pendant tout le film, ce qui lui confère un réalisme très particulier et renforce les éléments dramatiques de la narration.
Symboliquement, Bong Joon-ho fera en sorte que la famille abandonnée à son sort sera celle qui parviendra à combattre le monstre. Elle sera aidée par d’autres personnages laissés pour compte (SDF, pauvres, jeunes, vieux) qui s’uniront pour le combattre. Lorsque les déshérités sont abandonnés par l’Etat ou l’armée, ils finissent par s’unir et lutter ensemble. De là à dire que nous avons affaire à un film politiquement d’extrême gauche, il n’y a qu’un pas que je franchirais allègrement et avec panache !
La fin de The Host est un retour au cocon familial, mais cette fois-ci il s’agit d’une nouvelle famille élargie et solidaire. Pour les coréens, qui ont visiblement bien cernés les enjeux derrières ce film de monstre, il s’agit avec The Host de se ré-approprier leur histoire et d’expulser le plus loin possible ce monstre représentant une forme d’impérialisme subi (américain mais pas que…).
Évidemment, vous l’aurez compris, ce film est pour moi la quintessence du cinéma de Bong Joon-ho : à la fois politique, social, il sait également nous divertir et nous faire partager le destin de cette société coréenne en mutation, comme cet hôte qui la menace. Un chef-d’oeuvre.