Lost River est le premier long-métrage, naïf, esthétisant mais touchant de Ryan Gosling. Il l’a également coproduit, écrit et réalisé.
Paysages sinistrés
Dans une ville qui se meurt, Billy (Christina Hendricks, vous savez, la belle rouquine dans Mad Men), mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas- fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones (Iain De Caestecker, qui est bof bof), son fils aîné, découvre une route secrète menant à une ville engloutie. Billy et son fils essayent de s’en sortir par tous les moyens : un cabaret macabre plus ou moins interlope, pour la première, et la revente de métaux dénichés dans les décombres d’un Lost River en ruine (allégorie à peine voilée de la ville de Détroit, là où le film a été tourné).
Attention, si on se fit à ce résumé on pourrait croire que le film s’inspire du réalisme social à la Ken Loach. Détrompez-vous malheureux ! Ryan Gosling tire ses références des réalisateurs qui l’ont fait tourner : Derek Cianfrance (The Place beyond the pines) et surtout, Nicolas Winding Refn (Drive, Only God forgives). Je trouve surtout des ressemblances avec le dernier pour l’ambiance forcément poisseuse et lente, très lente. Encore que… il ne suffit pas de vouloir s’inspirer d’auteurs pour y parvenir.
Influences et vacuité de l’air du temps
Pour ce qui est de Derek Cianfrance et de Nicolas Winding Refn, il n’est pas évident de contester la validité de l’analogie.
Par contre, certains ont évoqué David Lynch comme une des inspirations principales du film de Ryan Gosling, sans doute pour évoquer les aspects arty et bizarroïdes du film : la lenteur, encore une fois, mais aussi et surtout le cabaret étrange (et ses backrooms « asphyxiants »), certains cadrages osés et deux ou trois plans poético-artistiques. Bien entendu, cette analogie n’a pas lieu d’être et dénote d’une paresse intellectuelle assez symptomatique de la critique actuelle. David Lynch n’est pas un « faiseur » : il n’utilise pas un dispositif pour faire jolie mais pour répondre à une démarche artistique claire, cohérente et durable. Lost River est parfois comparé à Lost Highway (à cause du mot « Lost » ?), cela pose un profond problème de compréhension : d’une part car le film de Ryan Gosling ne pose pas de question (ce qui est le socle du film de David Lynch), mais au contraire demeure un film très littéral, voire naïvement transparent et, d’autre part, la recherche formelle (capitale dans le film de David Lynch) que Ryan Gosling nous propose, semble très datée au regard de la production cinématographique de ces 20 dernières années. En résumé : on a vu mieux et plus original depuis belle lurette.
Pire encore, on nous dit parfois que le film vient fureter dans les eaux troubles du giallo de Mario Bava et Dario Argento et là j’ai envie de m’étouffer. Pardon ? En quoi Lost River, film tout à fait respectable mais encore une fois très transparent sur le plan de la narration (donc on oublie environ 50% des films de Dario Argento) et, surtout, très propret sur le plan formel peut-il être comparé aux films de Mario Bava ou de Dario Argento ? Je rappelle que le premier est l’inventeur du giallo, c’est à dire d’un genre de films où les femmes étaient des proies souvent torturées et, en tout cas, tuées à coups de couteaux. Il est également l’inventeur du slasher moderne avec La Baie Sanglante en 1971, un film absolument génial sur le plan formel mais très violent où l’histoire n’était qu’un prétexte pour tuer des dizaines de jeunes adolescents décérébrés. Ryan Gosling n’a encore ni la volonté et le regard permettant d’étirer les fils distendus de la violence et de la perversité, ni les capacités techniques de proposer une interprétation nouvelle de ses nombreuses références.
À quoi bon nous faire croire que Lost River s’inspire de ces maîtres du cinéma italien (et mondial) ? Ce film possède quelques louables velléités à proposer un cinéma différent, mais celui-ci demeure trop propre et, surtout, vu et revu depuis des années.

Filmer la crise
Par contre, soyons totalement honnête : ce film a le mérite d’aborder la question de la crise économique et des laissés-pour-compte aux États-Unis. C’est un élément suffisamment rare pour le signaler. La chute de Lost River est symbolisée par cette ville fantôme engloutie sous les eaux d’un lac artificiel soit-disant maudit. Rat, la jeune fille accompagnant Bones, le jeune héros (un brin trouillard quand même), finira par lui soumettre l’idée que l’engloutissement de cette ville sous les eaux a été le début de la malédiction que subit Lost River. Puisque la société ne permet plus aux jeunes de comprendre leur futur, ces derniers se réfugient dans la superstition – seule bouée de sauvetage.
D’ailleurs, les adultes sont trop occupés à faire le mal, aveuglés qu’ils sont par l’absence de garde-fou de cette société post-moderne aliénante : certains bailleurs brûlent les maisons de pauvres bougres incapables de rembourser leurs prêts, quand d’autres, ce qu’il reste de riches et de puissants dans Lost River, viennent se défouler sur des femmes, enfermées dans des sarcophages…
Qualités :
Que de références ! / Ambitions (c’est bien l’ambition)
Défauts :
Manque gênant de talent narratif (pour l’instant) / Une réflexion profonde sur ses intentions de réalisation l’aurait aidé à faire le tri dans ce qui ressemble à un catalogue de dispositifs techniques et esthétiques.