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la mort aux trousses

Je ne vais pas vous apprendre grand chose : tout le monde connaît l’importance des génériques de films. Ils permettent parfois d’introduire l’histoire, mais surtout ils servent à démarquer ce qui a affaire avec la réalité d’un côté et la fiction de l’autre, en sommes ils tiennent lieu de sas de décompression préparant le spectateur au voyage. Mais le metteur en scène a-t-il le droit de tout faire dans le cadre de ces génériques ? Y a-t-il des informations à mentionner obligatoirement ? Réponse ici.

Tout d’abord, précisons que nous adorons les génériques. Un bon générique permet de lancer sur de bons rails n’importe quelle histoire. Certains sont sobres, d’autres plus complexes. Certains sont de véritables oeuvres d’art – on pense au travail typographique et graphique de Saul Bass dans La Mort aux trousses :

D’autres bouleversent les codes – on pense à la révolution Star Wars avec son générique informatif :

Ou au pervers générique d’Enter the Voïd de Gaspar Noé qui s’amuse à nous bombarder de typos et de couleurs en tous genres sous un flot stroboscopique du plus bel effet  (très efficace pour déclencher une crise d’épilepsie) :

Les crédits s’éternisent

Il faut savoir que les crédits ont longtemps été présentés au début du film dans ce que l’on appelle le générique de début. À la fin du film, on retrouvait alors juste le carton « fin ».

Les équipes prenant de plus en plus de place dans le générique, peu à peu, seul le nom du réalisateur et des principaux acteurs sont conservés au début du film. Le reste de l’équipe n’apparaît plus qu’à la fin et le carton « fin » disparut progressivement.

Une règle tacite veut que, à la fois, le casting et l’équipe technique du film figurent au générique.

Du coup, ben, ça fait du monde ! Et puis, cela explique aussi la longueur croissante des génériques, vue la professionnalisation des métiers du cinéma et l’explosion des budgets de production.

D’où cette équation (et oui c’est la rentrée) :

Professionnalisation + budgets en hausse = plus de métiers  et plus de personnes affectées à certaines tâches : l’éclairage, le son, la photo, les décors, le maquillage, les costumes, les scripts, les effets spéciaux…

Une question légale

Mais revenons à notre question initiale : le générique est-il codifié ? Ou plutôt : en plus d’avoir le rôle de commencer et de conclure une oeuvre cinématographique, le générique est-il soumis à certaines règles ?

Pour faire simple, disons que le contenu d’un générique de film est déterminé par le droit des différents contributeurs à y être mentionné.

En clair qu’est-ce que cela signifie ? Et bien, tout est une question de législation et de droit d’auteur mes amis… Bon, y a tout de même des différences entre les législations des différents pays. On sait, par exemple, que le droit d’auteur « à la française » est très protecteur pour ce qui est des oeuvres intellectuelles, mais on ne rentrera pas dans les détails ici.

On dira juste qu’en matière d’œuvre audiovisuelle, le générique est au film ce que la signature est à l’œuvre d’art plastique : l’expression de la volonté de l’auteur de présenter l’œuvre achevée comme étant la sienne. Les auteurs du film étant généralement reconnus comme le scénariste, le réalisateur et le compositeur (ça diffère un peu dans certains pays).

Les acteurs et interprètes de films bénéficient d’un droit comparable à ce droit d’auteur.

Ce droit se décline de trois manières :

  • Un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation, la reproduction et l’exploitation de ces créations ou prestations, moyennant une rémunération soit proportionnelle soit forfaitaire.
  • Un droit à rémunération pour les exceptions prévues par la loi au droit d’autoriser ou d’interdire. Ces exceptions qualifiées de “licence légale” regroupent la rémunération équitable et la rémunération pour copie privée sonore et audiovisuelle.
  • Un droit moral inaliénable au terme duquel doivent être cités le nom et la qualité de l’auteur et de l’artiste interprète (sur les génériques, sur les boîtiers de DVD et autres supports) et son interprétation respectée.

Le droit moral est imprescriptible et transmissible aux héritiers. Les droits “exclusif” et “à rémunération” s’exercent pour 50 ans à compter de la première interprétation.

Les équipes techniques

Qu’en est-il des autres membres de l’équipe ? 

On l’a vu, les coauteurs et les interprètent du film bénéficient d’un régime légal extrêmement protecteur. D’ailleurs, en vertu du principe d’inaliénabilité du droit moral, les interprètes, scénaristes, réalisateurs et compositeurs ne peuvent renoncer ad vitam à leur droit au nom ; toute abdication de paternité ainsi que tout recours à l’anonymat ou au pseudonyme revêt un caractère précaire et révocable.

Hormis pour le droit d’auteur (concernant, je le répète, les auteurs et les interprètes), le « droit au nom » peut être d’origine légale ou contractuelle.

En revanche, pour les techniciens, administrateurs et autres intervenants qui participent chacun à leur manière à la production ou à la réalisation du film, ce n’est pas la même chose. Ils doivent négocier par contrat leur droit à être mentionnés au générique. Ici, le contrat constitue le seul fondement du droit au nom des techniciens audiovisuels.

Par contre, le fait que les génériques de début et de fins soient de plus en plus exhaustifs ne doit pas porter préjudice à la prééminence des postes clés : il est clairement établi que les génériques doivent en pratique permettre à tout un chacun de pouvoir savoir facilement qui sont les coauteurs et les interprètes du film.

En pratique, ce n’est plus totalement vrai : chaque mention est négociée dans les contrats en fonction de considérations marketing. Les distributeurs et les diffuseurs imposent de plus en plus au producteur délégué, seul responsable des mentions, de concevoir un générique de début attractif, en mettant en avant des noms qui claquent, plutôt que des auteurs de moindre renommée. La jurisprudence semble s’être inclinée devant ces nécessités promotionnelles en considérant qu’une simple mention au générique, quelle que soit son importance en terme de visibilité (générique de début ou générique de fin, carton ou déroulant…) suffit à respecter le droit au nom des auteurs. Il s’agit ici de trouver un équilibre entre protection juridique, contrainte économique et liberté artistique ; comme souvent le principe de proportionnalité permettra de trancher les litiges.

Enfin, une précision sur les auteurs de génériques eux-mêmes. Ils peuvent prétendre à la qualité de coauteur du film sous certaines conditions (on peut vous en parler éventuellement si vous êtes sages et que vous y tenez vraiment une autre fois 😉 ).

Pour conclure, je vous invite vivement à rester jusqu’à la fin des génériques de fin des films. Ils sont une véritable mine d’informations pour tout cinéphile. D’ailleurs, je vous invite à consulter ce site qui répertorie à merveille les informations à glaner.

Pour en savoir plus : Kevin Van Der Meiren, « Les génériques de film », Master 2 Recherche, Université Paris II, faculté de droit, d’économie et de sciences sociales (Propriété littéraire, artistique et industrielle), sous la direction de P.Y.Gautier, 2006.  

Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

One Comment

  • bobby dit :

    Bonjour,
    Je suis arrivé sur votre site suite à une conversation entre amis, la question était la suivante :  » Il y as t’il une obligation légale à produire un générique sur une oeuvre de cinéma, ou bien est ce une sorte de règle tacite ? »

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