Bong Joon-ho est l’un des réalisateurs les plus représentatifs et les plus talentueux de ce que l’on a un temps appelé la « nouvelle vague coréenne ». Bong Joon-ho est un cinéaste fureteur qui aime se mettre en danger et s’approprier des genres nouveaux : farce, policier, thriller, comédie, science-fiction… Sa capacité à atomiser les codes alliée à son ambition constante à faire plus que de simples films de genres font que, lorsque nous avons décidé d’établir une liste des réalisateurs culte en activité, nous avons instinctivement écrit son nom dans le peloton de tête de la liste et ce, même si sa filmographie ne compte que 5 longs-métrages et 5 courts-métrages.
Un parcours
Bong Joon-Ho est né le 14 septembre 1969 à Séoul. Enfant, Bong Joon-ho était plutôt rêveur et avait l’habitude de laisser courir son imagination (tiens tiens comme Dario Argento). Élevé dans une famille plutôt libérale, la télévision faisait partie intégrante de sa vie. Il en a tiré les bons côtés, ce qui lui a permis de voir de nombreux films. Il aimait regarder la chaîne américaine AFKN qui diffusait des films de genres et des séries B. Il découvre ainsi les films de la Hammer et le cinéma de John Carpenter.
C’est comme ça qu’il découvre Dark Star, le chef d’oeuvre de 1974 du Maître de l’Horreur, qui n’a jamais été diffusé sur les chaînes nationales coréennes (et il ne faut pas se leurrer, on est dans la même situation en France).
Le fait que Bong Joon-ho apprécie autant le cinéma de John Carpenter ne nous surprendra pas énormément tant la satire sociale est un point essentiel de la filmographie des deux auteurs. Bong Joon-ho, tout comme John Carpenter, aiment s’approprier un genre à des fins politiques ou sociales. Ils aiment, plus encore, délivrer un commentaire politique sur la société : rappelons-nous la critique des conditions de vie des classes populaires dans Memories of Murder et dans The Host, sans parler du reste de sa filmographie, mais nous y reviendrons.
Revenons au parcours de Bong Joon-ho : il poursuit des études de sociologie à l’université Yonsei à Séoul, l’une des meilleures université de Corée du Sud.
Dès cette époque, il savait déjà qu’il serait réalisateur de films. Il faut dire que les artistes ne manquent pas dans sa famille : son père était un designer de talent et son grand-père un écrivain célèbre. En parallèle de sa formation, il est membre du cinéma-club de l’université et a déjà un goût affirmé pour le cinéma d’auteur : notamment pour les réalisateurs Edward Yang, Hou Hsiao-hsien et Shohei Imamura (soit un chinois, un taïwanais et un japonais : tiercé gagnant pour l’éclectisme).
Il finit par réaliser un court-métrage : White Man en 16 mm, avec lequel il gagne un prix au Shin-young Youth Movie Festival en 1995. Après son diplôme de sociologie, il suit pendant deux ans les cours de la Korean Academy of Film Arts (KAFA) où il réalise le film Incoherence, une comédie noire critiquant la société coréenne. Au milieu des années 1990, sa carrière est donc sur de bons rails. Il en profite pour collaborer avec d’autres réalisateurs coréen et apprend le métier en travaillant sur différents projets plus ou moins ambitieux pendant plus de 5 ans. Il est même crédité pour sa participation au film à sketchs Seven Reasons Why Beer is Better Than a Lover (titre alléchant pour un film qui mérite sans doute le coup d’oeil…) en 1996, Motel Cactus en 1997 et pour le scénario de la grosse production, Phantom the Submarine, en 1999. C’est à ce moment-là qu’il se lance dans la réalisation de son premier long-métrage Barking Dogs Never Bite qui sortira en 2000.

Tournage de Memories of Murder (2003)
Critique sociale et cinéma
Le cinéma de Bong Joon-ho est mûr dès cette époque grâce, sans doute, à une lente maturation et à la personnalité de l’auteur qui a vu et fait autre chose que du cinéma dans sa vie. Les études de sociologie ont également certainement eu une importance dans la maturation de sa réflexion.
Il faut dire que l’importance du groupe est une notion essentielle en Corée et dans la plupart des sociétés extrême-orientales. L’individualisme y est moins exacerbé qu’en Occident. Il existe une très forte interaction entre l’individu et le reste de la société, ou entre le groupe et l’Histoire. Tout est intimement lié pour le meilleur et parfois pour le pire.
Pourquoi parler de cela ici ? Car cela a un rôle essentiel dans le cinéma de Bong Joon-ho pour qui le destin d’un individu doit faire écho à la société toute entière. Il faut dire qu’il grandit dans une société coréenne en pleine émancipation culturelle et sociale et cela va avoir un impact fort dans sa construction idéologique.
Petit rappel historique : la Corée du Sud subit une période de répression et d’obscurantisme sous la dictature de Park Chung Hee entre 1963 et 1979. Pendant cette période, pas ou peu de choses étaient autorisées et, à part l’économie florissante, la vie y était plutôt morne et monotone (les atteintes aux droits de l’homme étaient le pain quotidien des coréens). Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que la Corée du Sud s’éveille sur le plan social et culturel. Des soulèvements populaires constants révèlent aux yeux du monde entier une situation social explosive avec des inégalités sociales criantes et des disparités économiques régionales fortes.
C’est dans ce contexte que Bong Joon-ho grandit. Lui-même en parle parfois dans ses interviews, en particulier de l’ambiance très tendue qui régnait pendant cette période : « manifester était presque une activité quotidienne des étudiants. Bien sûr j’y participais comme les autres, cependant je n’ai jamais été le leader d’un mouvement. J’ai tenté de les aider en dessinant des BD, des affiches et des tracts. » (Interview – Suppléments de The Host).
En revanche, il avait pas mal d’amis qui étaient très engagés et s’en est inspiré par la suite. Dans The Host, le second fils qui jette des cocktails Molotov et qui se plaint tout le temps est justement inspiré de l’un de ses amis de cette époque.
Bong Joon-ho aime évoquer la société coréenne telle qu’elle est aujourd’hui, mais également de son histoire. Il n’en parle jamais frontalement, comme un Costa-Gavras pourrait le faire, mais toujours de manière feutrée, voire symbolique.
Cette société est dépeinte à travers le regard des classes populaires, qui jouent toujours un rôle centrale dans ses récits. Mais, Bong Joon-ho n’en fait pas non plus une description idéalisée. Bien au contraire… Pour lui la famille a toujours un côté pathologique et outré : l’hystérie n’est jamais loin et, même si les situations décrites dans ses films peuvent l’expliquer, elle n’en demeure pas moins effrayante. En somme, la famille est le dénominateur commun le plus petit de la société et en reproduit tous les excès les plus violents.
Bong Joon-ho a une approche et une ambition très naturaliste en voulant dépeindre la société dans laquelle il vit et en dénonçant les injustices de celle-ci. Sa capacité à enchaîner les plans très composés et les plans en caméra à l’épaule permet justement d’accentuer cette sensation naturaliste et descriptive dans son cinéma.

Une famille coréenne avec entre autre Song Kang-ho, Park Hae-il – the Host (2006)
Mauvais genre
Bong Joon-ho s’est rapidement démarqué de la concurrence grâce à sa capacité à mélanger les genres. Il aime brouiller les pistes pour à la fois jouer avec les nerfs du spectateur et, surtout, insuffler de la vie à ses films. Car rien ne ressemble plus au réel que des situations chaotiques mêlant joie, tristesse et situations cocasses, dévoilant toute l’absurdité de la vie.
Ses films ont toujours été truffés d’un humour particulier, mélange d’absurde et de comique de situation tarte à la crème, permettant aux scènes les plus glauques et stressantes de retomber dans un univers plus quotidien.
Dès Barking Dog, son premier long métrage sorti en 2000, qui est une petite comédie dramatique ayant reçu un accueil critique plus qu’inattendu, Bong Joon-ho utilise ce mélange des genres. Mais, c’est surtout à partir de Memories of Murder que cette pratique du mélange des genres se révèle fructueuse, tant les situations dramatiques côtoient constamment les gags les plus potaches, sans pour autant s’annihiler. Car dans ses films rien n’est fait pour mettre à distance le spectateur. L’auteur instille de l’humour dans une scène à suspense, non pas pour casser le rythme de l’action ou proposer un regard ironique sur ce qu’il filme, à la manière d’un Quentin Tarantino ou d’un Kim Jee-woon, mais plutôt pour insuffler du réel. Ainsi, le spectateur n’est jamais pris en otage d’une mise en scène totalitaire mais, au contraire, il est plongé au cœur d’une société recréée de toute pièce. Rien n’a jamais autant ressemblé au réel que ces situations hétéroclites mises bout à bout avec un savoir-faire désarmant.
En effet, il ne faut pas confondre humour meta servant à faire un clin d’oeil appuyé au spectateur du genre : « hey, t’as vu, mon personnage est cool et même face à une situation de crise, il est capable de faire une blague potache avant de sortir son gun », et situation gagesque plaçant la scène dans un contexte particulier. Un parfait exemple : dans The Host, lorsqu’un agent du gouvernement se ridiculise en se prenant une gamelle monumentale juste après avoir dit à toute la population présente qu’ils devaient rester à genoux sinon ils auraient des problèmes. La situation est comique, elle a un but précis (servir une ambiance), mais ne prend pas le spectateur à partie en mettant en exergue un discours meta et littéraire sur ses personnages.
Un style
Bong Joon-ho n’a réalisé que 6 longs-métrages et pourtant il s’est déjà imposé comme l’un des réalisateurs majeurs actuels.
Son talent immense et unanimement reconnu repose en premier lieu sur sa capacité à mélanger les genres et les styles de réalisation. En cela, il fait un peu penser à son compatriote Kim Jee-woon qui réalise aussi bien des films d’horreurs (Deux sœurs) que des films d’actions déjantés (Le Bon, la Brute et le Cinglé) ou des thrillers implacables et monstrueux (I saw the Devil). Mais la ressemblance s’arrête là, car Bong Joon-ho n’est pas qu’un esthète formaliste, au contraire de son compatriote talentueux. Il mélange les genres mais aussi les discours : pamphlets politiques, divertissement populaire, drame, comédie burlesque, voire horreur. Pour Bong Joon-ho, le sens a quasiment toujours une place essentielle dans la narration : il souhaite dire des choses et se sert du cinéma comme d’un vecteur d’éducation. C’est peut-être son passé d’étudiant en sociologie qui ressurgit…
L’autre point essentiel et le retour sur les origines : les origines du mal (The Host), les causes d’un drame, la longue marche du temps qui modifie la perception des choses (Memories of Murder ou Mother et la dernière séquence en mode introspectif de Parasite) ou qui, au contraire, n’efface pas les blessures (Snowpiercer).
En cela, Bong Joon-ho est un cinéaste politique, mais surtout, un cinéaste de notre temps, qui n’oublie pas l’importance du passé et sait qu’un discours se nourrit de la somme des histoires de ses personnages.
Tout cela fait de Bong Joon-ho l’un des réalisateurs apparus ces dernières années les plus intéressants. Finalement, dès Barking Dog (qui n’est jamais sorti en salles en France), on sent la patte de ce qui fera qu’on l’aimera tant : ce mélange de scènettes drôles, absurdes et violentes. Bong Joon-ho c’est cela : un artiste capable de mélanger avec une virtuosité bluffante des registres à priori incompatibles. Combien sont capables de le faire sur la durée d’un long-métrage ? Personnellement, je n’en vois pas.
Prenez la première scène de Memories of Murder : une scène de crime glauque au possible. Il faut rappeler que nous sommes dans une période post-Seven avec des codes bien définis du thriller horrifique : l’image, l’ambiance, la musique et les dialogues, tout doit être sombre et vécu au premier degré. Dans Memories of Murder, tout est loupé : les policiers arrivent en catastrophe, l’un se casse la figure et fait un roulé-boulé ridicule dans le champ, les flics tentent de se faire respecter par la population mais tout le monde s’en moque : la sacro-sainte scène de crime n’est pas du tout respectée, on marche sur les traces de pas, on se moque des indices trouvés… Et pourtant, on y croit : on est avec les policiers, on veut à tout prix qu’ils trouvent le meurtrier. Bong Joon-ho parvient à marquer son territoire dans ce style ultra-balisé en une seule séquence grandiose. Excusez du peu.
Mais le burlesque a également une explication. Chez Bong Joon-ho l’histoire repose sur des personnages inadaptés, le burlesque n’est que le résultat de ce constat : la maladresse, le manque de professionnalisme des policiers, les personnages qui ont un temps de retard, tous sont en fait plus ou moins des marginaux inadaptés à la société moderne telle qu’on nous la vend aujourd’hui. Bong Joon-ho a très bien compris la société dans laquelle il vit et il préfère la critiquer en nous montrant les laissés pour compte.
Filmographie :

Memories of Murder (2003)
L’année 2003 a été l’an 1 de l’avènement du « nouveau cinéma coréen » : entre Memories of Murder et Old Boy de Park Chan-Wook, la Corée du Sud a déferlé sur le cinéma mondial en fracassant les codes du cinéma d’auteur en y insufflant une énergie et une déviance propre jusqu’alors au cinéma de genre. La critique internationale des festivals biens sous tous rapports ne s’en est toujours pas remise…
L’histoire du film, beaucoup d’entre vous la connaissent déjà : des crimes sont commis entre 1986 et 1991 par un mystérieux tueur (ça ce n’est malheureusement pas de la fiction…) et nous suivons l’enquête improbable menée par deux inspecteurs un peu barrés : l’un de la campagne, l’autre de la ville. Ils ont des méthodes radicalement opposées, chacun collaborant avec l’autre avec une certaine méfiance. Mais, ils devront mettre leurs forces en commun afin de piéger le tueur en série qui s’avère moins idiot et impulsif qu’il n’y paraît. Les soupçons de chacun vont alors se déplacer d’un suspect à un autre, au rythme stressant des assassinats barbares du mystérieux tueur.
Film inclassable tant il mélange les genres (comédie, thriller, policier, burlesque, social, psychologique…), Memories of Murder est le film coup de point que toute la Corée du Sud a pris en pleine poire.
La petite incise sur l’histoire de la Corée du Sud au début de notre article prend son sens ici. En effet, il est important de se rappeler que le film se déroule dans les années 1980 à une époque où la répression policière était quotidienne et s’expliquait par l’existence de manifestations quasi quotidiennement. Les policiers étaient donc habitués à une forme de violence plus directe et à un discours moins policé. Il est donc tout naturel que nos deux policiers soient le reflet de leur époque et soient plus brutaux. Le passage à tabac est donc le pain quotidien de la vie policière. D’où les scènes de violence policière se déroulant dans un esprit bon enfant : la fameuse scène où les flics mangent tranquillement alors qu’ils assistent à un tabassage en règle d’un suspect.
Élément important pour comprendre l’impact du film dans son pays d’origine, le film s’inspire d’un fait divers réel : les crimes impunis de ce qui est considéré comme le premier serial killer qu’ait connu la Corée. Dès lors, le projet a été mis en place avec énormément de précautions pour ne pas froisser les sensibilités, sur un sujet encore douloureux pour la population locale. Au moment du développement du projet, Bong Joon-ho se rend bien compte qu’il doit prendre des pincettes en adaptant cette histoire. Il a l’intuition qu’il doit avoir son propre point de vue sur le drame. Résultat : cela lui a pris entre 6 et 7 ans pour mûrir le scénario. Pour faire quelque chose d’intéressant selon ses critères, il enquête lui-même, dissèque les comptes-rendus et articles de journaux pour visualiser l’histoire et avoir une hypothèse sur l’identité du suspect.
Ceci étant, une pièce de théâtre à succès, intitulée Venez me voir, avait déjà mis en scène cette histoire dramatique. D’ailleurs, Bong Joon-ho récupère une partie du casting de celle-ci avec notamment Kim Roe-ha, le fameux enquêteur qui donne des coups de pied plus vite que son ombre, qui est lui-même un célèbre acteur de théâtre coréen.
Autre aspect important, la production redoutait qu’on réduise ce projet à un film opportuniste surfant sur la vague occidentale des films de serial killer (Seven était passé par là quelques années plus tôt), alors que ce film s’inspirait d’une histoire vraie encore douloureuse. La décision a été prise de ne pas tourner dans les vrais lieux du drame pour ne pas raviver d’éventuelles tensions.
De toute façon, cela n’aurait pas été possible de tourner dans ces lieux puisqu’ils… n’existent plus ! Il ne reste rien de la Corée rurale dans cette zone rattrapée par la modernité galopante. Et il a fallu tourner aux quatre coins de la Corée pour trouver des bribes de décors ruraux indispensables à l’histoire.
La réussite du film repose aussi et surtout sur le jeu des acteurs et, en particulier de l’immense Song Kang-ho, qui joue le policier rural un peu brusque. Pour ce film, il prend plus de 10 kilos et s’appuie volontiers sur le jeu de ses partenaires Kim Sang-kyeong, le policier des villes, et Kim Loi-ha, le policier « coup de pied ».
Les aspects techniques du films sont également essentiels. Une grosse partie de l’ambiance du film repose sur l’éclairage et la photo : les scènes dans les champs sont d’une couleur dorée impressionnante sans pour autant paraître artificiels (regardez la scène de découverte du premier corps au début du film). Ces scènes sont volontairement chaudes et vivantes. Contrairement aux scènes tournées dans la forêt ou dans l’usine qui sont froides, cliniques et portées par des éclairages puissants mais réalistes. Regardez la maîtrise technique de l’éclairage de la scène de poursuite de nuit dans le petit village jusqu’à l’usine : la lumière y est puissante tout en étant homogène, le tout dans un espace vaste et très disparate. Sans même parler de la succession de plans serrés et larges : il a fallu à n’en pas douter un travail immense dans la mise en place de la lumière. Un bel exploit technique.
Bong Joon-ho a, comme avec ses autres films, savamment mélangé les genres : thriller, comédie, policier… Lorsqu’il a fallu présenter le film, il a opportunément utilisé l’expression thriller rural qui englobe les aspects policiers, d’un côté, et le côté rustique, amateur, voire vintage du mot rural pour un coréen. D’ailleurs, Bong Joon-ho précise lui-même que le terme thriller serait abusif car trop occidental et connoté « inspecteur intelligent en imper beige », tandis que le terme rural à un côté « vieux tracteur pourri » qui lui sied mieux (voir les suppléments du film dans la version DVD).
Pour conclure, disons simplement que Memories of Murder est sans doute l’un des plus grands films de genre de ces 20 dernières années. Un mélange étourdissant, à la fois naturaliste et complètement fantaisiste par ses aspects comiques, ce film marquera une nouvelle étape dans l’avènement d’un cinéma de genre pointu international.
Fiche technique :
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Kim Kwang-rim, Shim Sung-bo
Acteurs principaux : Song Kang-ho, Kim Sang-kyung, Kim Roe-ha, Park Hae-il
Sociétés de production : CJ Entertainment, Sidus Pictures
Pays d’origine : Corée du Sud
Genre : polar dramatique
Durée 132 minutes
Sortie : 2003

The Host (2007)
Tout d’abord, il faut préciser que The Host a été pendant longtemps le plus grand succès domestique de tous les temps du cinéma coréen (sorti en 2006 : il attire à l’époque plus de 16 millions de spectateurs). Cela en dit long sur la typologie du public coréen qui est prêt à se déplacer en masse pour un film de genre complexe et assez violent…
Ce film de monstre a su incarner le réveil nécessaire d’un peuple s’étant longtemps assoupi, soumis à des puissances extérieures depuis des lustres. Sorti de la rivière Han, le monstre n’est pas une résurgence d’un ordre ancien et mythique (comme c’est le cas généralement de tous les films de monstres), mais le symptôme d’un problème politique et social coréen. Le film est plus un manifeste politique qu’un film catastrophe habituel avec ses relents psychologiques (la filiation avec John Carpenter encore une fois…).
Dans The Host, la création du monstre est le point de départ du film. C’est une excellente idée car cela nous plonge dans un drame politique. La genèse de l’histoire est un incident lié à la pollution des eaux du fleuve Han par les Américains. Il fait écho à un incident bien réel qui est survenu en 2000 en Corée. C’est ce que les Coréens appellent l’affaire McFarland. Albert McFarland, un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée aurait ordonné le déversement de formaldéhyde dans le fleuve. Il est condamné à deux ans de suspension et sera mis en liberté sous caution. Le formaldéhyde est un produit extrêmement toxique et cancérigène (en passe d’être interdit dans l’Union Européenne) qui sert parfois à embaumer les corps. C’est dans cette ambiance particulière que démarre le film.
Par la suite, on peut dire qu’un fil rouge autour de la machination politique et des risques écologiques parcourt l’ensemble du film : l’affaire Albert McFarland, bien sûr, puis l’histoire du faux virus, qui est une satyre des fausses armes irakiennes et enfin, le déversement d’un agent jaune dans la scène finale, qui rappelle évidemment l’agent orange utilisé par les Américains pendant la Guerre du Vietnam.
Dans ce contexte, il est évident que Bong Joon-ho a voulu faire de ce film une critique de « l’envahisseur Amérique » et, de manière générale, des puissants qui nous gouvernent.
Ceci étant, à mon avis, le sel du film repose encore une fois sur une critique sociale de la Corée. Le coeur du film repose sur les épaules de cette famille pauvre, impuissante, à qui personne ne vient en aide. En fait, on peut dire que la société qui les entoure blesse cette famille bien plus fort que le monstre lui-même. Bong Joon-ho décrit tous les obstacles que cette famille subit en proposant une satyre sociale et politique très fine de la Corée contemporaine et des États-Unis : l’indifférence généralisée dans laquelle se retrouve cette famille est remarquablement bien décrite et fera écho à Mother qui sortira trois ans plus tard. La question que l’on se pose durant tout le film est simple : « pourquoi cette famille ne peut-elle être protégée ? ». Bien sûr, la réponse sera cruelle et désenchantée.
Bong Joon-ho utilise encore le mélange des genres et des sentiments pour faire avancer son récit. Pour se faire, il faut dire qu’il maîtrise à merveille la tradition culturelle coréenne et notamment le concept de « Hee, Lo, Ae, Lak » formé de 4 caractères exprimant 4 sentiments humains : la joie, la colère, la tristesse et le plaisir. D’ailleurs, cela ne vous rappelle rien ? Petit indice : Pixar… Et oui, dans Vice-Versa, Pixar a juste remplacé le plaisir par la peur, étrange non ? À moins bien sûr que le plaisir soit un sentiment trop ambigüe quand on parle à des enfants… Dans Memories of Murder et The Host, ces 4 sentiments coexistent. The Host a la singularité que ces sentiments s’interpénètrent de façon plus chaotique et ne sont pas représentés par des personnages archétypaux. C’est assez prégnant lorsque le burlesque et la comédie entrent brutalement dans l’histoire par le biais d’un personnage sérieux qui se ridiculise ou lorsque le monstre, maladroit, se prend une gamelle. De même, on passe d’un sentiment à un autre de manière très brutale pendant tout le film, ce qui lui confère un réalisme très particulier et renforce les éléments dramatiques de la narration.
Symboliquement, Bong Joon-ho fera en sorte que la famille abandonnée à son sort sera celle qui parviendra à combattre le monstre. Elle sera aidée par d’autres personnages laissés pour compte (SDF, pauvres, jeunes, vieux) qui s’uniront pour le combattre. Lorsque les déshérités sont abandonnés par l’Etat ou l’armée, ils finissent par s’unir et lutter ensemble. De là à dire que nous avons affaire à un film politiquement d’extrême gauche, il n’y a qu’un pas que je franchirais allègrement et avec panache !
La fin de The Host est un retour au cocon familial, mais cette fois-ci il s’agit d’une nouvelle famille élargie et solidaire. Pour les coréens, qui ont visiblement bien cernés les enjeux derrières ce film de monstre, il s’agit avec The Host de se ré-approprier leur histoire et d’expulser le plus loin possible ce monstre représentant une forme d’impérialisme subi (américain mais pas que…).
Évidemment, vous l’aurez compris, ce film est pour moi la quintessence du cinéma de Bong Joon-ho : à la fois politique, social, il sait également nous divertir et nous faire partager le destin de cette société coréenne en mutation, comme cet hôte qui la menace. Encore un chef d’oeuvre.
Fiche technique :
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Baek Chul-hyun, Bong Joon-ho
Acteurs principaux : Song Kang-ho, Byeon Hee-bong, Park Hae-il, Bae Doona, Ko Ah-seong
Sociétés de production : Showbox/Mediaplex, Chungeorahm Film, Sego Entertainment
Pays d’origine : Corée du Sud
Genre : Horreur, Fantastique, Science-fiction
Durée : 119 minutes
Sortie: 2006

Mother (2009)
Mother est le quatrième long-métrage de Bong Joon-ho. Il a été présenté à Cannes en compétition dans la sélection Un certain regard.
Nous insisterons davantage sur ce film qui est le moins connu et, en quelque sorte, le mal-aimé de la filmographie de Bong Joon-ho, alors qu’il en est l’un des meilleurs.
Encore une fois, Bong Joon-ho change de genre cinématographique et nous propose un drame humain poignant, toujours teinté de fulgurances humoristiques et violentes qui font le sel de son oeuvre.
Ceci étant, pour le coup, la question du mélange des genres n’est pas opérante dans ce film : cette fois ci, Bong Joon-ho ne questionne pas le genre (comédie, drame, policier ?), mais se concentre uniquement sur la conduite de son récit.
Ce film raconte la vie d’une veuve en Corée du Sud qui cohabite avec son fils unique de 28 ans, Yoon Do-joon, déficient mental léger, qui est sa seule raison de vivre. Ce dernier, constamment harcelé par des voyous de son âge, compte tenu de sa situation, de ses relations et de la précarité de son milieu, a souvent, semble-t-il, des démêlés avec la police. Un jour, une jeune lycéenne est retrouvée morte et, malgré le combat de sa mère, Yoon Do-joon est jugé coupable. L’affaire se retrouve très vite classée. La mère va alors partir à la recherche du vrai meurtrier pour prouver coûte que coûte l’innocence de son fils.
La manière dont le récit est conduit fait indéniablement penser à une enquête criminelle, puisqu’il s’agit pour la mère de découvrir qui est le véritable coupable et d’innocenter son fils. On retrouve ici tous les codes du cinéma vérité et la structure d’une certaine forme de cinéma policier.
Dans ce film, Bong Joon-ho distille une fois de plus des éléments de critique social : par exemple, la scène tordante dans le golf avec passage à tabac de riches joueurs bien habillés permet de contextualiser le film et d’indiquer simplement les appartenances de classe sociale des personnages. Le rapport à l’argent est également bien décrit avec le personnage de l’ami du fils qui aide la mère à condition qu’elle lui donne une somme d’argent. Tout se monnaye dans la société coréenne contemporaine et, surtout, tout a une utilité : on ne fait quelque chose que contre un service rendu ou un peu d’argent…
Néanmoins, on s’aperçoit bien entendu que l’élément essentiel de ce film ne réside pas dans l’enquête. Comme le titre le rappelle, tout repose sur les épaules de cette femme, cette mère, dont le fils – cet être un peu simple d’esprit – est accusé de meurtre. Un meurtre horrible de surcroît puisque la lycéenne est retrouvée la tête écrasée par une pierre. Manque de bol : son fils avoue le crime, aidé en cela par des policiers très consciencieux.
Comment réagir quand une situation pareille vous arrive ? Elle, ne se pose pas de question : elle est persuadée de l’innocence de son fils et va tout faire pour le sauver.
Bong Joon-ho traite dans ce film du lien maternel : comment l’attachement, tout à fait normal et charnel serait-on tenté de dire, d’une mère pour son fils, va petit à petit basculer dans quelque chose de pathologique. Le spectateur assiste à la lente chute qui va entraîner une femme dans les dérives de la passion maternelle. Ce film montre que cette passion, poussée à l’extrême conduit irrémédiablement vers la folie.
Vous me direz que le fait qu’une mère se comporte ainsi n’a rien d’exceptionnel. Et c’est tout l’intérêt du film justement : décrire comment la volonté d’une mère de défendre son fils peut conduire cette dernière à devenir indifférente à toutes les horreurs qui vont accompagner sa quête. Qu’est-ce que la folie si ce n’est cette propension à être indifférent au réel ? À devenir insensible aux autres ?
Cette insensibilité, cette indifférence au réel sont-elles des conséquences de la perte future du fils ou justement des symptômes de la perte de repère avec la réalité de la mère, qui expliquerait comment elle a pu et su s’occuper seule pendant tant d’années de son fils ?
D’ailleurs, un indice nous oriente et nous fait penser que nous ne nous fourvoyons pas dans notre analyse : dès le début du film, il y a cette scène où la mère se coupe sévèrement le doigt lorsque son fils se fait renverser par une voiture. Chose étonnante, elle ne semble pas souffrir et ne s’en aperçoit même pas ! Déni de réalité, volonté de passer outre car elle n’a tout simplement pas le temps pour elle ? Bien entendu, tout le film nous fera plonger dans la psyché de la mère pour qui rien ne comptera plus, si ce n’est la volonté de prouver l’innocence de son fils.
L’autre clé du film sera évidement de comprendre pourquoi existe ce lien fort entre cette mère et ce fils. Quelques indices disséminés par Bong Joon-ho nous feront comprendre que la cause de ce lien irrationnel prend ses racine dans la vie intime de cette femme : elle a vécu toute sa vie seule avec lui, elle dort dans le même lit… Bien entendu, on comprend peu à peu que cet attachement maternel est lié à la propre frustration sexuelle de la mère.
Bong Joon-ho parvient à décrire cette passion maternelle irréaliste sans pathos mais surtout sans plonger dans le glauque et le nauséabond. Il réussit à nous faire comprendre de façon simple et détournée par quelques plans superbes et subtiles cette passion maternelle éminemment belle, mais un peu trop exclusive. Comme ce plan dans le bus où on la voit se piquer avec des aiguilles d’acuponcture dans les cuisses, alors qu’elle a relevé sa jupe, sans se soucier des autres passagers.
Mother repose sur cette enquête menée à contrecourant : il faut retourner sur les lieux du crime et se remémorer ce que l’on a vu ou cru (comme dans Memories of Murder). Sauf que cette fois-ci, c’est par le biais de la mémoire déficiente du fils que l’évolution du récit se fait : excellente idée narrative qui appelle à de merveilleux plans sur le visage du jeune homme, symbolisant en quelque sorte un coffre-fort inaccessible. Il possède au fond de sa mémoire la réponse que sa mère recherche tel un trésor, convaincue de l’innocence de son fils. Mais, on ne trouve pas toujours ce que l’on cherche…
Cette mère nourricière et castratrice (comme le monstre de The Host qui nourrissait également ses victimes et les tenait prisonniers des autres) deviendra impitoyable quand la vérité éclatera.
En effet, le film (tout comme The Host) pose la question de la vérité : l’amour fou d’une mère, ou d’un pays, ne peut pas excuser tous les comportements et lorsque vient le moment du jugement, on ne peut pas passer son temps à étouffer ou dissimuler le vrai visage du monde.
Ce film est donc une réelle réussite en renouvelant la manière dont le cinéma parvient à décrire, sans pathos et de façon réaliste et profonde, le sentiment maternel. Pas de pathos mais un constat pour l’auteur : le lien maternel a certainement à voir avec la pathologie. Chef d’oeuvre 3.
Fiche technique :
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Park Eun-kyo
Acteurs principaux : Kim Hye-ja, Won Bin
Sociétés de production : Barunson
Pays d’origine : Corée du Sud
Genre : Drame
Durée : 128 minutes
Sortie : 2009

Snowpiercer, le Transperceneige (2013)
Je n’insisterai pas longtemps sur ce film qui est assez connu et qui dispose d’une littérature assez abondante. Mais, j’aborderai quelques points qui m’ont marqué en visionnant ce film passionnant.
Snowpiercer est un objet hybride dans la filmographie quasi parfaite de Bong Joon-ho. Adaptation d’une bande-dessinée française (Le Transperceneige), le cinquième long-métrage de Bong Joon-ho est un pur film d’action et de science-fiction, bénéficiant d’un casting international haut de gamme, le tout pouvant – si on n’y prend pas garde – virer en un clin d’oeil au mainstream tiédasse. Néanmoins, ce film bénéficie d’une âme plus que déviante qui en fait un produit hors catégorie – comme ces fruits difformes que l’on retrouve au fond des étals des marchands de légumes.
Et pourtant, si on leur donne leur chance, on les trouve bons ces fruits en général…
La genèse de ce projet est assez marrante puisque Bong Joon-ho découvre la BD Le Transperceneige dans une boutique en Corée alors qu’il prépare la pré-production de The Host en 2004. Sauf que…la BD n’est sortie officiellement en Corée (et même à l’étranger) que bien des années plus tard… Donc, on peut dire merci (encore une fois ? 😉 ) aux hasards de la vie, au piratage et aux traductions non-officielles qui nous ont permis de voir ce film si singulier.
Le Transperceneige est avant tout l’oeuvre du génial scénariste français Jacques Lob. Ce dernier, aidé par l’illustrateur Jean-Marc Rochette, a réussi à créer, au début des années 1980, un univers cohérent et complexe se situant dans un train en perpétuel mouvement.
Le développement du projet est relativement bien connu, vous pouvez en lire plus sur la page Wikipédia du film qui est (pour une fois) relativement bien faite.
Seul élément qui mérite d’être relevé ici : avec une histoire et un casting pareil, il était évident que le film subirait des tentatives de coupes et une forme de censure du distributeur américain (Les Weinstein – voir plus bas) :
- Le personnage principal : un antihéros, voire un méchant repenti, anthropophage de surcroît, joué par un acteur dépourvu de charisme (Chris Evans) alias Captain America. Vous saisissez la vanne ultime de Bong Joon-ho ? Le « héros de l’Amérique » se devait d’être dans son film international telle une réponse à The Host qui voyait les Américains être chassés de Corée.
- Le véritable personnage charismatique est un drogué coréen ne parlant pas anglais…
- Le gentil vieillard qui s’est sacrifié jadis n’est pas totalement aussi clean qu’il veut bien le dire.
- Les héros meurent de façon brusque, parfois même sans moment de bravoure.
- Le climax du film est une scène d’ultra-violence à coup de hachettes se déroulant à la fin de la première partie du film et qui voit mourir un des héros (voir point précédent).
- La fin est une fin anti-blockbuster au possible, mais demeure l’une des meilleures fins de films de science-fiction de ces 15 dernières années.
- La scène dans la classe avec les enfants et juste extrêmement dérangeante et subtile (mot à proscrire dans un blockbuster).
- Sans parler de la crasse, des insectes mangés et des estropiés dans le wagon des gentils…
N’en jetez plus, Snowpiercer était voué à un échec commercial auprès du public nord-américain. Et… ce fut plus ou moins le cas.
Revenons un peu sur l’histoire : En 2014, une tentative de géo-ingénierie contre le réchauffement climatique entraine un cataclysme : une glaciation de toute la planète, détruisant la vie et exterminant presque toute l’humanité. En 2031, des passagers enfermés dans un train forcé de rouler continuellement sont les seuls survivants sur Terre. Les habitants des derniers wagons sont contraints de vivre dans la promiscuité et le rationnement. À l’opposé, les habitants des autres wagons vivent dans un environnement relativement luxueux. Le train est dirigé par Wilford (Ed Harris), qui est à l’origine du train, et qui réside dans le premier wagon. Les habitants du dernier wagon, représentés par Curtis (Chris Evans) et le jeune Edgar (Jamie bell) décident de se révolter.
D’emblée, on comprend pourquoi Bong Joon-ho a été fasciné par cette histoire : les déshérités qui s’unissent pour reprendre en main leur destin, c’est un de ses motifs préférés (The Host, Mother).
Deuxièmement, ce film repose sur un principe scénaristique casse-gueule parfait pour un cinéaste talentueux comme Bong Joon-ho : car chaque compartiment du train est une nouvelle séquence qui, elle-même, est synonyme d’une nouvelle étape dans la narration. Elle est figurée par une évolution physique (les personnages se déplacent vers l’avant), mais aussi au niveau des décors qui en disent long sur ce qui a été dissimulé jusqu’alors aux personnages et sur la réaction appropriée qui en découlera. Loin d’être uniquement une évolution du type jeu vidéo de plateforme, ce séquençage permet de comprendre la psychologie des personnages et d’anticiper les réactions de ces derniers.
Le train représente un espace étroit et long, et chaque étape, chaque compartiment, est vécu comme un nouvel apprentissage des secrets que ce train recèle, c’est évidemment une métaphore de l’apprentissage. On y voit des personnages laissés pour comptes, enfermés dans leur ignorance, mangeant toujours la même nourriture qu’on leur sert, se rebeller pour tenter de découvrir autre chose, au risque de mourir ou de se perdre.
La réalisation de Bong Joon-ho est également rehaussée par une maîtrise formelle assez remarquable qui repose sur la simplicité des formes : Curtis et les autres rebelles retenus au fond du train se meuvent de gauche à droite (du compartiment des pauvres vers celui des classes supérieures), tandis que ceux qui veulent les arrêter font le mouvement inverse de droite à gauche. Finalement, il n’y a que Namgoong Minsu (joué par le génial Song Kang-ho) qui propose une alternative en voulant ouvrir une autre porte : n’a-t-il pas raison de vouloir choisir lui-même son destin, par le biais d’un autre chemin ?
Le final est mystique, presque spirituel : il arrive au bout du train et obtient enfin la révélation du projet derrière le train. Le projet révélé à Curtis semble le séduire à son tour et Bong Joon-ho décrit à merveille la tentation de tout homme à contrôler son destin et avoir du pouvoir sur les autres.
Bong Joon-ho le dit lui-même son adaptation de la BD doit aussi beaucoup à Apocalypse Now, avec dans les 2 cas : le cours du fleuve ou du train, à remonter et surtout cette quête (d’un meilleur sort, d’un destin heureux, d’un sens à la vie ?).
Tout comme cette quête qui devient de plus en plus floue et complexe, l’itinéraire initiatique de Curtis se meut à mesure qu’il avance dans le train en autre chose : il tombe peu à peu dans la folie – celle des classes dirigeantes et de la situation ubuesque, mais également celle de ses démons intérieurs représentés par des choix cornéliens.
De même le personnage de Ed Harris ressemble beaucoup à celui de Marlon Brando : ce côté manipulateur et machiavélique difficile à cerner pour le héros.
En conclusion, encore une fois Bong Joon-ho nous livre un chef d’oeuvre dans un genre différent : plus violent, plus cru, plus subtile et à la fois plus international, plus populaire et plus mainstream, Snowpiercer est clairement le film que l’on attendait de Bong Joon-ho sur un sujet aussi difficile. Il a su livrer un film solide, à l’univers cohérent, divertissant et complexe durant seulement 2h. Chose que les Wachowski ne sont pas complètement parvenus à faire avec Jupiter Ascending. Chef d’oeuvre 4.
Une distribution problématique
Le film sort d’abord en Corée du Sud. Dans son pays d’origine, le film bénéficie d’une attente du public assez hallucinante. Dix jours avant sa sortie officielle, le film était déjà en tête des ventes de billets grâce aux réservations par internet, avec 19,3% des ventes, une première en Corée du Sud. À la fin de la première semaine d’exploitation, il totalise déjà plus de 3 000 000 de spectateurs, et dépasse les 9 000 000 de spectateurs à la fin du mois d’octobre.
Présenté en avant-première mondiale le 7 septembre 2013 en clôture du Festival du cinéma américain de Deauville, le film y remporte un vif succès critique. Son succès au box office est plutôt convenable, vu les circonstances de sa sortie : 82 195 262 dollars de recette monde avec un budget avoisinant les 40 000 000 de dollars.
En effet, la sortie américaine du film a été plus que problématique… Encore une fois, on aura beau m’expliquer le contraire, les films étrangers ne sont clairement pas la bienvenue aux États-Unis. Jugez-en plutôt par vous-même : Le webzine Twitch révèle que les frères Weinstein, les distributeurs du film en Amérique du nord et dans les pays anglo-saxons, ont décider de réduire de vingt minutes le film original, tout en ajoutant une voix off dans le but de faire comprendre le film au public américain : « Les gens de la Weinstein Company ont demandé à Bong et son équipe de faire en sorte que le film soit compris aussi bien par des gens de l’Iowa que de l’Oklahoma. En plus de prouver qu’il n’estime pas tellement son public, Weinstein essaye de coincer les autres pays anglophones, puisque c’est sa boîte qui distribuera le film », explique Tony Rayns, relayeur de cette information. Le réalisateur Bong Joon-ho prévient que « cela éliminerait la plupart des détails sur les personnages, ce qui ferait que le film ressemblera plus à un film d’action ». En revanche, loin d’en être d’accord, l’Angleterre déciderait de diffuser la version originale, c’est-à-dire complète.
En septembre 2013, l’actrice Tilda Swinton, venue au Festival du cinéma américain de Deauville pour présenter le film, s’y montra pleine de désapprobation sur cette coupure devant le public : « Il ne fait aucun doute que tous les spectateurs anglophones méritent de voir la version du réalisateur Bong Joon-ho, et nous espérons vivement que nous pourrons tous la voir. Un des effets que produit le film, c’est qu’après avoir passé deux heures dans ce train, on sort de la salle avec le soulagement de pouvoir vivre quelque chose de plus vaste. Passer deux heures dans un train, c’est donc peut-être une sorte de thérapie par aversion. J’ai bien dit deux heures, pas une heure quarante ».
Finalement, le distributeur CJ Entertainment annonce, au début février 2014, que The Weinstein Company prend décision de sortir la version originale de Snowpiercer dans toute l’Amérique du Nord à partir de juillet 2014, soit plus de 6 mois après la date de sortie initialement prévue. Le tout évidemment avec une distribution beaucoup moins étendue que prévue sur le territoire américain : seulement 3 salles à New York !…
Fiche technique :
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Kelly Masterson
Acteurs principaux : Chris Evans, Song Kang-ho, Ed Harris, John Hurt, Tilda Swinton
Sociétés de production : Moho Films, Opus Pictures, Stillking Films
Pays d’origine : Corée du Sud, France, États-Unis
Genre : science-fiction
Durée : 126 minutes
Sortie : 2013

Okja (2017)
Synopsis : La société agro-alimentaire Mirando Corporation a mis au point une race de cochons génétiquement modifiés géants, ressemblant à des hippopotames et se comportant comme des chiens. Lucy Mirando (Tilda Swinton) qui dirige l’entreprise, s’étend surtout, lors d’une conférence de presse, sur les 26 premiers spécimens qui seront élevés dans la nature selon les traditions locales des différentes régions du monde où ils seront envoyés. Et dans dix ans, annonce-t-elle, une élection du plus beau cochon sera organisée.
Mija (Ahn Seo-hyeon) vit avec son grand-père dans les montagnes sud-coréennes en compagnie d’un de ces cochons, elle lui a donné le nom d’Okja. Elle ignore qu’il va lui être enlevé un jour. Quand la société Mirando vient s’en emparer, elle refuse cette séparation et se lance avec détermination dans une mission de sauvetage qui l’entraîne de l’autre coté de l’océan. Quand elle arrive en Amérique, Okja fait l’objet d’une controverse très mouvementée entre Mirando Corporation et les membres du Front de libération des animaux.